Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/343

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rage décupla ses forces ; d’un mouvement rapide, il se dégagea, puis, d’une violente poussée, il envoya rouler l’Autrichien sur le sol dallé.

Un cri d’effroi se fit entendre au sommet de l’escalier et Pierre entrevit une jeune fille dans laquelle il devina l’enfant du malheureux capitaine. Effrayée, elle s’était jetée dans les bras de sa mère.

Margarita Renucci paraissait avoir dix-huit ans, et son père n’avait rien exagéré en la comparant à la perle dont elle portait le nom, car elle était d’une merveilleuse beauté : l’ovale de sa figure d’une pureté virginale, sa bouche petite et d’un dessin parfait, ses beaux yeux agrandis par l’anxiété, sa lourde chevelure noire ombrageant un front droit et intelligent, sa taille souple et fine, tout s’harmonisait pour faire de cette jeune fille une de ces créatures privilégiées comme en produit l’Italie, cette terre classique de la beauté.

Elle produisit sur le jeune homme l’effet d’une apparition, et quand le sous-officier autrichien revint sur lui en jurant, le sabre haut, Pierre n’hésita pas ; sous ce regard qu’il venait de croiser pour la première fois, il eût accompli des prodiges ; rompu comme il l’était à tous les exercices du corps, il fit un bond vers son adversaire, ne lui laissa pas le temps de frapper, et d’un violent coup de canne lui fit sauter le sabre des mains ; puis ramassant l’arme avant que l’Autrichien fût revenu de sa stupeur, il la ploya sur la dalle, mit le pied sur la pointe, la brisa et en jeta la poignée aux pieds du soudard, littéralement abasourdi.

Un double cri s’éleva :

— Bravo ! Viva ! viva !

Et un jeune homme aux traits énergiques, au regard brillant, se précipita vers Pierre et lui étreignit le bras avec une chaleur passionnée.

— Francesco Renucci, sans doute ? interrogea notre ami.

— Lui-même, répondit le jeune homme en français.

— Alors, puisque, grâce à vous, je vais pouvoir me faire comprendre de cette brute, dit Pierre, voulez-vous lui expliquer que je suis Français, et maréchal des logis aux chasseurs d’Afrique ; que j’arrive de Sébastopol et que je serai à sa disposition où et comme il voudra.

Le jeune Italien eut un geste admiratif, et, dans un sourire dédaigneux, jeta au reître, traduite en allemand, la phrase qui lui était dictée.

La physionomie de l’Autrichien laissa percer l’impression d’étonnement