Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/374

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l’assurance, il ne fut qu’à demi satisfait, car les feux de l’armée autrichienne étincelaient sur les hauteurs voisines, et une autre bataille pouvait être perdue le lendemain.

Mais, le 5, des personnages en habit noir et en cravate blanche arrivèrent au grand quartier général, et, au nom de la municipalité milanaise, supplièrent l’Empereur d’entrer dans sa bonne ville de Milan que les Autrichiens venaient d’évacuer.

Ce que fut cette entrée dans Milan, mes enfants : une véritable féerie ! L’enthousiasme de Gênes était dépassé : les fleurs tombaient en pluie sur les soldats ; des femmes en grande toilette embrassaient les bottes de l’Empereur et des généraux (sic) ; d’autres lui tendaient leurs petits enfants avec des mots de bénédiction pour qu’un regard de lui arrivât jusqu’à eux ; les cloches sonnaient à toute volée, et les vieilles tapisseries, les tentures de velours avec des crépines d’or pendaient aux balcons, mêlées aux longs plis des drapeaux.

Pendant que s’agitait la masse grondante de la foule, un jeune officier de chasseurs arrivait devant l’antique demeure de la famille Renucci, et la porte s’ouvrait d’elle-même devant lui.

Au bas de l’escalier, où il avait jadis lutté avec le Croate, deux femmes l’attendaient ; l’une toujours en noir et l’air noble sous ses bandeaux blancs, l’autre vêtue d’une robe bleu de ciel, car le deuil aurait juré avec la joie de son âme. Les yeux brillants de bonheur, sa magnifique chevelure de jais couronnée d’une dentelle blanche en point de Venise, Margarita, plus belle que jamais, attendait celui qui avait signé sa lettre de l’avant-veille du doux nom de fiancé.


— Mon enfant, dit Mme Renucci d’une voix qui tremblait d’émotion… je vous la donne ! embrassez votre femme !

Et pendant que des manifestations, aussi bruyantes qu’éphémères, remplissaient la ville enfiévrée, un lien, solide celui-là, associait entre elles deux existences dans le silence de la vieille maison familiale des Renucci. Sous les regards souriants et heureux de la veuve du patriote lombard, Pierre et Margarita échangèrent leurs serments de fidélité, les seuls durables, car, à la différence de ceux qui s’échangent entre les peuples, ils n’ont pas l’intérêt pour mobile.