Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/380

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camp, fut vite reconnu ; un vieux zouave chevronné se leva alors, vint droit au souverain, puis le saluant militairement :

« Sire, dit-il dans son langage pittoresque et familier, nous vous avons vu tantôt ; vous êtes un rude lapin et au nom de mes camarades, nous vous nommons caporal de zouaves. »

Un peu interloqué tout d’abord, Victor-Emmanuel sourit, serra la main du vieux zouave et le remercia tout en acceptant.

Ainsi, à près d’un siècle de distance, il arrivait au roi d’Italie la même aventure épisodique qu’à Bonaparte, nommé par ses soldats caporal au soir de Lodi ; mais vous conviendrez, n’est-ce pas, mes enfants, qu’il y avait une réelle différence entre ces deux caporaux improvisés, puisque le premier, le grand !… le Petit Caporal en un mot, marchait par la suite de victoire en victoire, tandis que Victor-Emmanuel, tout caporal de zouaves qu’il fût, se faisait battre à San-Martino.

Peu importait d’ailleurs aux Italiens d’avoir été battus, puisque leurs alliés étaient victorieux. Il en était de même de Garibaldi qui devait faire monts et merveilles sur le flanc gauche de l’armée franco-piémontaise, et qui, plus expert probablement en matière de guerre civile qu’en rase campagne, se fit pourchasser par le général autrichien Urban.


Moins de vingt jours après Solférino, la paix de Villafranca était signée, au grand désespoir, je vous l’ai dit, des Italiens, à qui l’effusion de sang français paraissait la chose la plus naturelle du monde, et qui crurent sincèrement qu’on leur volait quelque chose, du moment qu’on ne leur donnait pas tout ce qu’ils considéraient comme leur appartenant.

Aussi, les troupes françaises qui traversèrent la Lombardie et le Piémont pour rentrer en France, y trouvèrent-elles un accueil singulièrement refroidi.

Il n’en fut pas de même en France. Le pays tout entier, fier des lauriers rapidement conquis, applaudit à la cessation des hostilités, et l’armée d’Italie reçut dans la capitale l’accueil le plus grandiose.

Remarquez-le, d’ailleurs, mes enfants, c’était la dernière fois qu’une armée française victorieuse rentrait dans Paris : on n’a pas revu ce spectacle depuis quarante ans, et, avec Solférino, je viens de clore l’ère glorieuse des victoires de la France, en Europe du moins.