Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/391

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En agissant comme il venait de le faire, mes enfants, le Filleul de Napoléon venait de faire preuve d’un courage particulier, plus rare et plus méritoire peut-être que le courage proprement dit, dont son père et son frère avaient été l’un et l’autre la personnification.

Il s’appelle le courage civique.

Il consiste à sacrifier à ses convictions, au culte de la vérité et de la justice, sa situation et son avenir. Il exige une conscience irréprochable, un jugement droit, une volonté ferme, et, en tenant tête à l’Empereur, pour essayer de lui ouvrir les yeux devant le danger où il engageait la France, le colonel Cardignac donnait au nom illustre que lui avait légué le preux de l’épopée napoléonienne, une gloire de plus.

Seulement, il allait la payer cher.

Non seulement il manquait une occasion unique de gagner rapidement les deux étoiles de général, mais encore il venait d’encourir la disgrâce du maître tout puissant.

Il ne tarda pas à en sentir les effets, car sans que rien le lui eût fait pressentir, il trouva, quelques semaines après, au Journal officiel, sa nomination de sous-directeur à la manufacture d’armes de Saint-Étienne.

C’était l’éloignement de Paris ; c’était surtout la perte de son commandement, le commandement d’un « régiment » auquel déjà il était attaché par toutes les fibres de son cœur ; c’était un déplacement onéreux ; enfin c’était la mise en sous-ordre, puisqu’il avait au-dessus de lui dans cette manufacture un Directeur, colonel comme lui, mais plus ancien de grade.

Il ne récrimina point, ne confia à ses officiers étonnés aucun des motifs réels de cette disgrâce imméritée, et, faisant à son régiment des adieux touchants, il rejoignit son nouveau poste.

Valentine fut la digne compagne de cet homme de bien : elle abandonna, non sans mélancolie, sa petite maison de la rue de Bourgogne, renonça aux soirées des Tuileries et aux relations mondaines, et alla s’enfouir, avec son mari et son petit Georges, dans la ville aux rues noires et aux usines enfumées.

On était en 1863 et la manufacture d’armes de Saint-Étienne qui, vous le savez, mes enfants, est la fabrique de fusils la plus importante de France, commençait à expérimenter certains modèles de fusils se chargeant par la culasse.

Dès son arrivée, le colonel Cardignac se trouva en relations avec un