Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/449

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tique de la douloureuse agonie qui attendait la vaillante armée du Rhin !

Deux mois après la bataille de Saint-Privat, conduits par leur chef indigne à la plus sombre des catastrophes, les meilleurs soldats de France, des soldats aguerris, braves, dévoués, mais brisés par une inaction démoralisante et abattus par la famine, étaient livrés aux Prussiens.

Après des négociations qu’il serait trop triste de rappeler ici, le Maréchal Bazaine consentait à capituler, remettant aux mains de l’ennemi la place de Metz et ses forts, 3 maréchaux de France, 50 généraux, 6.000 officiers, 173.000 hommes, 1.400 pièces de canon, 23 millions de cartouches !

Et à cet immense butin il ajouta, ô honte ! mes enfants, 45 drapeaux !

Oui, et n’osant avouer qu’il obéissait à l’ordre formel de Frédéric-Charles, d’avoir à les livrer, il prescrivit aux colonels des régiments d’envoyer leurs drapeaux et étendards à l’arsenal de Metz, pour y être brûlés !

La plupart des chefs de corps obéirent, bien qu’une profonde émotion se fût emparée de l’armée en recevant cet ordre.

D’autres, soupçonnant la trahison qui se préparait, brûlèrent eux-mêmes leurs drapeaux.

Tels furent les généraux Lapasset, Desvaux, de Laveaucoupet et Jean-ningros.

Quelques-uns, mieux inspirés encore, découpèrent la soie en lambeaux minuscules et les distribuèrent à leurs officiers, sous-officiers et soldats. De ce nombre fut le colonel Giraud, du régiment des zouaves de la Garde, et aujourd’hui, ces morceaux sacrés, restitués en partie par ceux qui les avaient reçus en dépôt, forment à Tunis, dans la salle d’honneur du 4e zouaves, héritier des zouaves de la Garde, le drapeau de Metz reconstitué.

J’ai eu l’honneur, il y a dix ans, par ordre du colonel Jeannerod, de rassembler tous ces lambeaux renvoyés des quatre coins de France ; j’ai reçu des lettres touchantes des vieux soldats qui les avaient emportés en captivité, le 28 octobre, et ce vieux drapeau, je ne l’ai jamais regardé mes enfants, sans me reporter à l’heure fatale où les régiments de l’armée du Rhin durent se séparer de leurs aigles. Qu’ils durent souffrir les anciens de Crimée et d’Italie, eux qui les avaient vues resplendir au-dessus des bataillons victorieux !

Maintes fois, mes enfants, je vous ai parlé du drapeau. Souvent encore, je vous en parlerai : vous saurez plus tard, vous sentirez par vous-mêmes