Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/140

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leur, il embrassa une dernière fois sa mère dont le visage baigné de larmes faisait peine à voir, et il allait se mettre en route après avoir chaleureusement remercié M. Ramblot de sa touchante hospitalité, lorsque dans l’antichambre il aperçut ses deux fillettes, Henriette et Lucie, qui sanglotaient silencieusement.

Touché de cette muette affection, le petit volontaire les embrassa en leur disant quelques douces paroles :

— Oh ! monsieur Georges, dit la plus jeune en lui saisissant les mains, je ne veux pas que vous partiez !

— Il le faut, ma petite Lucie ; mais, croyez-moi, je ne vous oublierai pas !

— Je ferai ma prière pour vous tous les soirs, reprit-elle les mains jointes.

— Gentille enfant ! dit Georges en s’éloignant à son ami Paul qui voulait faire auprès de lui les premiers kilomètres. Quant à ce dernier, il avait bien supplié qu’on l’emmenât, lui aussi ; mais, on le conçoit, son oncle s’y était carrément refusé ; et ce fut avec un gros serrement de cœur qu’après avoir accompagné son ami jusqu’à deux lieues, il vit les turcos disparaître dans la brume neigeuse.


Je vous ai dit, mes enfants, que l’objectif de l’armée de l’Est était d’abord de débloquer Belfort, puis de pénétrer en Allemagne par le grand Duché de Bade. Mais le général allemand Werder, qui avait récemment évacué Dijon, avait concentré ses troupes du côté de Vesoul pour couvrir le corps d’investissement de Belfort. C’était donc contre le corps allemand de Werder qu’allait se heurter l’armée du général Bourbaki.

Ce mouvement ne pouvait réussir qu’à l’expresse condition d’être mené avec une rapidité extrême : car, prévenus, les Allemands formaient, du côté de Châtillon-sur-Seine, une armée dite « armée du Sud », placée sous les ordres du général de Manteuffel.

Ce général avait, vous le comprenez de suite, mes enfants, pour mission de couper l’armée de l’Est de sa base d’opérations ; de la cerner, en un mot, pour l’anéantir.

Il eût donc fallu réussir avant que cette nouvelle armée allemande eût terminé son organisation ; malheureusement, le général Bourbaki fut retardé par toutes sortes de motifs, indépendants de sa volonté.