Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/248

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M. d’Anthonay avait décuplé son petit capital, et la chance, le prenant par la main, lui avait fourni l’occasion d’acquérir, dans d’excellentes conditions, les actions d’une mine d’argent dans les environs de Parana.

C’était la fortune. En deux ans le gentilhomme était devenu millionnaire ; il aurait pu aller vivre de ses rentes en France, et il y songea un instant ; car, au milieu de ses travaux et des satisfactions qu’il en avait retirées, une chose lui avait manqué : la société de ses compatriotes, le bonheur d’entendre parler sa langue natale, et il faut avoir été privé longtemps de ce bonheur pour l’apprécier.

Mais il avait horreur de l’oisiveté ; il n’était pas de ces gentilshommes qui abritent leur paresse derrière le mensonge, en prétendant que le travail déshonore, et qui croiraient déchoir s’ils se livraient à une occupation manuelle. Il avait reconquis par lui-même une brillante situation ; il prit donc le parti de transporter ses capitaux dans une colonie française, afin d’en faire bénéficier son pays et de se retrouver au milieu de ses compatriotes.

Or c’était l’époque où quelques hommes d’État français commençaient à rêver d’expansion coloniale ; parmi les colonies naissantes dont on parlait le plus alors, M. d’Anthonay remarqua le Sénégal. Un travail de pénétration méthodique et continu s’y accomplissait, sous l’habile poussée des successeurs de Faidherbe, et le 5 mars 1878, l’ancien magistrat débarquait à Saint-Louis.

— Dieu m’avait bien inspiré, dit-il, quand il en fut à ce point de son récit, car je rencontrai là une famille française, intéressante au plus haut point, et qui, depuis 1870, se débattait contre la mauvaise fortune. Son chef était un Lorrain du pays annexé, ruiné par la guerre ; ne voulant pas devenir Allemand, il avait émigré à Saint-Louis avec ses deux filles, deux adorables enfants, vaillantes et fortes comme leur père. Il avait d’abord essayé de fonder une industrie de tissage, en souvenance de son ancienne usine de Metz ; mais comment lutter contre les cotonnades bon marché de Birmingham, dont les Anglais inondent tous les pays du monde, et même contre les tissus allemands qui commencent à leur faire concurrence ; la modeste usine avait sombré et s’était transformée en un de ces bazars où s’échangent les bimbeloteries, conserves, objets d’équipement ou de toilette, nécessaires aux colonies ; mais sous cette forme même, la maison Ramblot n’avait pas prospéré.