Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/279

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— Non pas ; notre Faidherbe vous abandonnera à Matam, parce que la hauteur des eaux ne lui permettra pas d’aller plus loin ; mais les chalands continueront leur route par eau jusqu’à Rayes, traînés par des noirs.

— Des noirs ? Où les prendra-t-on ?

— Dans les villages riverains ; ils sont habitués à ce service et sont régulièrement réquisitionnés et payés ; c’est ce qu’on appelle marcher à la cordelle.

Le soir même, d’ailleurs, le convoi croisa des chalands de commerce, lourdement chargés à destination de Saint-Louis et ainsi remorqués. Des nègres les halaient de la berge, au moyen d’une longue corde, attachée en tête du mât. Ils marchaient en file, la corde sur l’épaule, s’encourageant à tirer à l’aide de modulations bizarres. Quelques-uns de ces bateaux descendaient le fleuve à la voile, et les laptots indigènes qui les montaient lançaient à leurs camarades du convoi leurs bruyantes et interminables salutations.

Le lendemain, le pays avait changé d’aspect.

À la blancheur de Saint-Louis, aux sables brûlés et déserts, avaient succédé la verdure et la végétation ; la mort avait fait place à la vie ; des milliers d’oiseaux aux brillantes couleurs gazouillaient dans les branchages ; des pélicans, des marabouts, troublés par le halètement insolite du vapeur, s’élevaient lentement avec de grands bruits d’ailes et planaient un instant au-dessus du convoi avant d’aller s’abattre dans les plaines marécageuses qui bordaient le fleuve. Les. caïmans avaient fait leur apparition : engourdis par le sommeil, ils dormaient paresseusement sur les berges ; de temps en temps, un coup de fusil à l’adresse du plus gros d’entre eux partait du Faidherbe : c’était M. Gauthier, le Nemrod du service postal, qui tirait. Le saurien sautait brusquement dans le fleuve, touché, ou le plus souvent manqué, et les journées s’écoulaient interminables, sous un soleil pesant.

Le soir, un peu de fraîcheur montait vers les passagers ; mais c’était aussi l’heure où les effluves des rives marécageuses, pompés par la chaleur du jour, s’étalaient sur les Européens non acclimatés, leur insufflant la fièvre ; par bonheur pour Georges, il avait auprès de lui un ami vigilant, décidé à lui éviter toute imprudence. Pépin était toujours là à point, lorsque le convoi faisait halte à la tombée de la nuit, pour empêcher son lieutenant de s’étendre sous les lauriers roses ou de se mettre à l’eau.