Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/348

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que M. d’Anthonay, s’il m’a deviné, n’a jamais rien su de positif sur mes intentions, j’aurais mauvaise grâce à m’en étonner.

« Mais cela ne fait rien ; j’ai gros cœur tout de même, ma chère et bonne maman ; à toi, je peux bien l’avouer. Tu ne m’aurais pas approuvé, je le sais, parce que tu désires que je ne me marie pas trop jeune ; mais tu m’aurais donné ton consentement tout de même, en voyant combien elle était belle, bonne, vaillante !… C’est le bonheur que je laisse échapper, sans doute ; que la volonté de Dieu soit faite !

« Ce qui est certain, vois-tu, c’est que je ne peux plus me voir, même en peinture, au Sénégal. Tout ici me la rappellerait. On vient de demander des volontaires pour former une compagnie de débarquement à bord du Redoutable, qui part pour l’Égypte. J’ai demandé à en faire partie et Pépin, quand il a su ma détermination, a fait la même demande. Nous embarquons dans quelques jours, mais nous ne toucherons pas à Toulon, nous arrêterons seulement à Alger.

« Qu’allons-nous faire en Égypte ? je n’en sais rien. On dit que nous allons conquérir le pays, de compte à demi avec les Anglais. Cela m’étonne beaucoup, les Anglais ayant l’habitude de se réserver la part du lion. Peut-être allons-nous tirer les marrons du feu pour eux, comme nous l’avons fait à Sébastopol. Dans tous les cas, cette expédition va être pour moi la diversion nécessaire et tu ne seras plus jalouse, chère et bonne maman, car il est probable que je vais voir s’évanouir peu à peu la douce image qui venait si souvent dans mes rêveries, voisiner avec la tienne. Tu resteras ainsi ma seule, ma véritable affection.

« Ton georges.

« P.-S. — Le trésorier m’a compté au retour de la colonne 2.700 francs, et après avoir réglé ma popote, mis de côté 500 francs pour renouveler ma garde-robe, il me reste 1.500 francs que je t’envoie. Tu ne vas pas refuser cela à ton Georges, si heureux de te rendre un tout petit peu de ce bien-être dont tu l’as entouré. Tu lui ferais trop de peine. Je t’écrirai d’Alger. »


La veille de son embarquement, Georges reçut une lettre de son ami Andrit ; elle était datée de Franceville, poste que M. de Brazza venait de fonder