Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/359

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nombreuses stations navales, d’où ils peuvent faire passer à nos ennemis, et en particulier aux Chinois, fusils, canons et munitions.

— Vous avez raison, mon capitaine : j’aurais dû le deviner tout de suite ; les Anglais jouent en Asie le même rôle qu’en Afrique où, par Sierra-Leone, lis faisaient parvenir, à Ahmadou et à Samory, les chassepots qu’ils avaient achetés à vil prix aux Allemands après la guerre. Seulement, en vendant des armes aux Chinois — car les Pavillons-Noirs et les Chinois c’est la même chose, — ils m’ont tout l’air de leur fournir des verges pour être fouettés ; car je me suis laissé dire que les Célestes détestent tous les étrangers, les Anglais comme les autres, et n’attendent qu’une occasion pour les jeter tous à la mer.

— C’est ça qui est égal aux commerçants anglais ! Les affaires d’abord ! Si quelque jour leurs propres soldats reçoivent des balles de Winchester ou de Martini-Henry, ce sera pain bénit ; mais, en attendant, c’est nous qui allons en recevoir, et je vous souhaite bonne chance, mon jeune camarade, pour les quelques jours que nous allons passer ensemble. On m’a dit le plus grand bien de vous, au sujet de votre conduite au Sénégal ; vous devez trouver que ce pays-là ne lui ressemble guère.

De fait, le Tonkin n’avait rien du climat et de la végétation de l’Afrique française ; la température en était moins élevée, en ce sens que le thermomètre n’atteignait pas les quarante-cinq ou quarante-six degrés à l’ombre que l’on constate souvent au Sénégal ; il ne dépassait pas trente-cinq degrés ; mais la chaleur était lourde, humide, et, les nuits étant aussi chaudes que les jours, le sommeil y était pénible et le repos moins réparateur ; mais, au lieu des immenses solitudes du Soudan, l’œil embrassait de vastes plaines couvertes de rizières, d’innombrables villages noyés dans la verdure et d’où émergeaient des pagodes aux toits recourbés, enfin des récoltes de maïs et de cannes à sucre.

Tel fut le paysage qui se déroula aux yeux de notre ami Georges, lorsque, le l4 décembre 1883, le peloton de tirailleurs annamites, qu’il précédait sur une chaussée entourée de marécages, arriva en vue de Son-Tay.

— Voilà la citadelle, fit un vieux sergent chevronné qui marchait à côté de Georges.

Et comme il montrait au-dessus des mûriers, des cocotiers et des bana-