Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/415

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de son père, de l’oncle Henri, de tous ceux près desquels il avait vécu quelques semaines pendant l’année terrible, le sourire disparut aussitôt sur les lèvres du peintre.

Depuis quelques années il était presque seul : mort, le père, le vaillant médecin militaire qui avait ruiné sa santé dans les ambulances du 18e Corps en 1870 ; morte aussi sa bonne et excellente maman ; morte aussi, quelques mois après, la pauvre Jeannette Balourdin, la vieille gouvernante qu’il avait si souvent jadis effrayée par ses imprudentes espiègleries ; et c’était une des raisons pour lesquelles l’ami de Georges avait essayé de tromper sa solitude en cherchant des émotions de voyage. Quant à l’oncle Henri Cousturier, dont les semonces et les taloches n’avaient autrefois aucune prise sur le petit diable qu’était Paul, il vivait toujours ; vieilli, certes ! mais l’air jeune quand même, et dans les honneurs ! Il était en effet officier de l’instruction publique et maire de sa petite commune en Seine-et-Oise.

Quand Georges, à son tour, annonça qu’il s’était décidé à demander un congé de six mois, le peintre applaudit ; mais quand ce dernier entendit son ami ajouter que ce congé allait commencer tout de suite et que tous deux allaient se rembarquer sur l’Oxus quatre jours après, il ne put dissimuler une grimace, indice de grave déception.

— Dame ! expliqua-t-il, j’avais compté passer avec toi ici au moins une quinzaine… le temps de rapporter quelques esquisses ; tandis qu’en quatre jours… j’aurai à peine le temps de coucher sur la toile ces rochers basaltiques, cette baie splendide… Et puis, je te l’avoue, tirer tout de suite quatre-vingts jours de mer, comme ça, sans interruption…

— En quatre jours, tu vas pouvoir te reposer, et j’aurai toujours le temps de te montrer Hanoï, notre capitale, reprit Georges, qui maintenant ne voulait plus entendre parler d’ajourner son départ.


Mais au moment où tous deux, le soir même, franchissaient la porte de la citadelle d’Hanoï, Pépin apparut les traits bouleversés, et Georges qui le savait de nature peu impressionnable l’interrogea anxieusement.

— Ce qu’il y a, mon lieutenant, il y a que nous ne partons plus !

— Qu’est-ce que tu me chantes-là ? Le général s’est ravisé ?

— Toutes les permissions sont supprimées : les Chinois nous arrivent dessus au galop, à ce qu’il paraît.