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« l’Est africain allemand ». Au sud enfin c’était le Portugal avec ses territoires de « Mozambique » et « d’Angola », que la Grande-Bretagne allait d’ailleurs couper en deux, toujours pour rattacher aux sources du Nil la Zambézia naissante. Nulle part donc, en ces régions arrosées du sang de nos missionnaires, il n’y avait place pour la France, et, brisé d’ailleurs par la maladie, l’abbé d’Ormesson était rentré en Europe.

Il n’y était pas resté plus d’un an. À cette âme ardente que dévorait un incessant besoin de sacrifice, la vie calme d’une paroisse ne pouvait convenir longtemps, et on l’avait envoyé comme aumônier à l’escadre de Chine. Il y avait vu mourir, il y avait consolé plus d’un des pauvres marins de France, dont « la grande bleue » devient la tombe, et il venait de voir périr le plus illustre d’entre eux, l’amiral Courbet, qui l’honorait de son amitié.

C’est ainsi que le hasard le rapprochait de Georges Cardignac, au moment où celui-ci ne croyait plus retrouver jamais l’ami d’un instant qui l’avait assisté sur le champ de bataille de Saint-Privat[1].

— Monsieur l’Aumônier ! permettez-moi de me présenter… Il y a si longtemps ! Georges Cardignac !…

Le missionnaire interrompit sa lecture : son regard profond enveloppa le jeune officier et sa haute taille se courba encore.

— Ah ! mon enfant, c’est vous ! fit-il en tendant la main au jeune officier. Que Dieu soit béni ! Bien souvent j’ai pensé à vous ; j’aurais dû vous écrire, mais vous écrire sans vous accompagner…là-bas,… c’était réveiller en vous une grande douleur !… J’y ai renoncé.

— Et maintenant, demanda Georges, d’une voix que l’émotion faisait trembler, puis-je espérer que vous voudrez bien m’accompagner… là-bas ?…

Le prêtre réfléchit un instant :

— Certes, dit-il, j’irai : mais je veux que ce voyage si triste soit, en même temps, pour vous l’occasion d’une grande consolation. Écoutez-moi : j’ai connu, dans l’Est-Africain, un officier supérieur allemand, le major Strélitz, devenu depuis général dans le 16e corps d’armée. Il habite Metz. J’ai eu l’occasion de lui rendre service dans une circonstance pénible et difficile, en Afrique. Il s’en souviendra. Par lui, je pourrai sans doute

  1. Voir Filleuls de Napoléon.