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leurs ; chacune lui jetait un gentil sourire indifférent par-dessus l’épaule de l’homme qui la tenait. Il plaisait aussi aux Lavaux.

« Je plais à tout le monde et à personne. Je suis seul, bien seul. Après le dîner, je m’en irai. »

Cyrille le surveillait du coin de l’œil ; il avait pour Alain ce désir vague de sollicitude que celui-ci provoquait chez tous et dont il se mortifiait tant. Mais chez Cyrille, cette disposition éclatait en algarades claironnantes.

Comme il venait de boire une longue lampée de Monbazillac – dont il avait reçu une pièce ces derniers temps, et dont il était heureux d’avoir fait goûter à ses amis, ce soir, la délicatesse chaleureuse – il hurla :

— Chaque fois que je vois Alain, je me rappelle cette magnifique anecdote : à sept heures du matin, un agent trouve, dormant du plein sommeil de l’ivrogne, un jeune homme allongé sur la tombe du Soldat inconnu. Ledit jeune homme croyait si bien être dans son lit, qu’il avait posé sa montre, son portefeuille et son mouchoir à côté de la flamme, comme à côté de son bougeoir, sur sa table de nuit.

Brancion, détourné de Solange, demanda brusquement à Cyrille :

— Quoi ?… Quel est le héros de cette histoire ?

Cyrille partit d’un vaste éclat de rire.

— C’est Alain, ici présent. Moi, je trouve que c’est une très bonne plaisanterie.