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Alain le regardait flancher, et le méprisait de ne pas s’affirmer : peut-être aurait-il voulu être pris à bras-le-corps. L’été dernier, Dubourg lui avait écrit une lettre qui l’avait fustigé. « Après tout, je me demande si je puis te pardonner de me mentir comme tu le fais à chaque instant. Chaque fois que tu vas te piquer, tu me dis que tu vas aux cabinets. » Une telle phrase l’avait jeté vers la maison de santé.

Dubourg s’était senti fléchir et il avait vu qu’Alain s’en apercevait ; il eut un sursaut.

— Écoute, il n’y a pas que moi. Il y en a qui vivent plus largement que moi et dont les paroles pourraient te faire plus d’effet.

Dubourg s’effrayait de la difficulté de faire comprendre à Alain que depuis qu’il semblait vivre moins, il vivait plus. Il aurait voulu l’aiguiller vers d’autres exemples plus faciles à saisir que le sien. Des exemples de plein air, de force crue. Mais, en même temps, il s’indignait qu’Alain n’eût aucune idée des puissances de la vie intérieure, ne sût pas qu’elles flambent au soleil tout aussi bien que les exploits. Il aurait voulu lui réciter quelques-unes de ces prières égyptiennes gonflées de la plénitude de l’être, où la vie spirituelle, en éclatant, épanche toute la sève de la terre. Il s’impatientait et déjà sur les lèvres les objurgations étaient près de se muer en sarcasmes. « N’impute pas ta pauvreté à la vie. » Mais c’était le pousser des épaules au néant, à l’enfer.