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Il ne pouvait guère admirer Alain, encore moins l’approuver. Il en revenait donc à son premier regret. Ne pouvant admirer Alain, il aurait fallu pour cela qu’il fût plus grand. À travers la déchéance d’Alain, il apercevait sa défaite. Quant à Alain, il savait qu’il voyait Dubourg pour la dernière fois. L’attitude de Dubourg, entre autres prétextes, lui donnait toute raison de mourir : la vie à travers lui n’était point parvenue à se justifier. Elle avait montré un visage gêné, grevé de réticences, tourmenté d’impuissantes allégations.

Les deux amis marchaient le long de la Seine. La rivière coulait grise, sous un ciel gris, entre les maisons grises. La nature ne pouvait être, ce jour-là, d’aucune aide aux hommes : les pierres carrées s’amollissaient dans l’air humide. Dubourg frissonna ; cet homme qui marchait à côté de lui n’avait rien pour se soutenir : ni femme, ni homme, ni maîtresse, ni ami ; ‬et le ciel se dérobait. Peut-être était-ce sa faute ; comme il n’avait jamais appris à compter sur lui-même, l’univers, privé de noyau, ne montrait autour de lui aucune consistance.

Une femme les croisa, jolie et élégante. Elle jeta sur eux un bref coup d’œil : Alain lui plut. Dubourg sourit et secoua le bras d’Alain.

— Tu vois, on a envie de la toucher. Paris, c’est comme elle ; la vie, c’est comme elle. Un sourire, et ce ciel gris s’éclaire. Cet hiver, nous irons ensemble en Égypte.‬