Page:Drumont - La France juive, tome premier, 3eme édition, 1886.djvu/246

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l’œuvre à des malheurs de famille qu’on tient à faire oublier et à oublier soi-même, pour ne point rappeler aux hommes parmi lesquels on vit, l’origine maudite. Cette vision des bûchers d’Espagne qui hantait l’auteur des Essais dans cette visite à la synagogue de Rome qu’il nous a racontée, ne poursuivait-elle pas dans son château de Montaigne le conseiller au Parlement lorsqu’il écrivait : « C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif[1] »

Montaigne et Dumas fils, tous deux d’origine juive par leur mère, sont les deux seuls écrivains français vraiment dignes de ce nom qu’ait produits la race d’Israël fécondée par le mélange de sang chrétien. Sans établir un rapprochement qui serait forcé entre la moquerie souriante et légère du premier, et la raillerie âpre du second, il est permis de constater que tous deux ont été des destructeurs, que tous deux, sous des formes diverses, ont mis en relief les vices et les ridicules de l’humanité sans lui proposer aucun idéal supérieur à atteindre. Tous deux ont été des rieurs et des tristes, des désillusionnés et des désillusionneurs.

  1. A maintes reprises, on voit que Montaigne est obsédé par cette idée du bûcher, pour lequel il n’a aucune vocation. Pour se disculper d’avoir fui Bordeaux au moment de la peste, quand son devoir comme maire était de donner l’exemple, il écrit : « Je suyvray le bon parti jusque au feu, mais exclusivement si je puys. » « Eh bien, fait remarquer Veuillot à ce sujet, quand la peste s’escrimait dans sa ville, c’était au mois de juin. Il faisait trop chaud, voilà l’explication. »
        La nature du Juif, peu faite pour l’héroïsme, se révèle d’ailleurs à chaque ligne dans Montaigne, et contraste avec les mœurs d’une époque où chacun mourait si intrépidement pour sa cause. Sous ce rapport, il a au moins le mérite de la sincérité, et ses aveux sont dépouillés d’artifice. « En quelque manière, dit-il, qu’on se puisse mettre à labri des coups, fût-ce sous la peau d’un veau, je ne suis pas homme qui y reculasse. »