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la france juive

une conviction ; il lui semblait tout simple qu’un journal changeât d’avis dès qu’on y mettait le prix.

Quand il voulut se saisir du Petit Journal et de la France, il ne lui vint pas une minute à la pensée que les rédacteurs pussent avoir une opinion à eux, et qu’il fût déloyal, par la force brutale de l’argent, de contraindre des travailleurs intellectuels à opter entre leur situation acquise et leur conscience.

Il n’avait point le secret de conquérir, de séduire, de gagner, de rallier, il ne corrompait pas par des caresses, comme Morny, il achetait et, par un phénomène qui semble bizarre mais qui est cependant facile à expliquer, il n’estimait pas ceux qui avaient refusé de se vendre. « L’affaire était bonne, disait-il, s’ils ne l’ont pas faite c’est que ce sont des imbéciles, conséquemment, ils ne m’auraient pas été utiles. »

C’est par le mépris de l’homme uniquement qu’il se rapproche de Napoléon Ier. Le mépris chez lui était inextinguible, immense, profond, à croire qu’il avait passé sa vie devant son miroir.

Le rapprochement, bien entendu, n’est que relatif. Si Napoléon avait méprisé les Jacobins nantis, les régicides devenus chambellans, comme Gambetta avait le droit de mépriser les Noailles, les Choiseul, les Montebello devenus ses complaisants et ses adulateurs, le grand Empereur avait respecté toujours cette masse sublime et généreuse, ce peuple militaire auquel il devait ses victoires ; il payait ses vétérans de leur dévouement en les grandissant à leurs propres yeux, en leur parlant le plus magnifique langage qu’on ait parlé à des hommes. Quand ces obscurs héros passaient devant lui pour aller à quelque charge meurtrière, il ôtait son petit chapeau et les regardait défiler