Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 2.djvu/57

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Nous l’aisant sentir par eux
Le lien de nostre origine.
Ainsi de raison l’usage,
Qui n’est en autre animal,
Fait que l’homme, qui est sage,
Discourt le bien et le mal.
Mais le gros fardeau moleste,
Dont nostre esprit est vestu,
Tarde souvent la vertu
De l’âme qui est céleste.
De là provient la liesse,
La douleur et le souci,
La peur et la hardiesse,
La haine et l’amour aussi.
De là provient la furie
De toutes les passions
Qui sur nos affections
Exercent leur seigneurie :
Si la raison seule guide
De nos esprits aveuglez,
Souvent rehausse la bride
Aux appetis déréglez.
Un chacun durant sa vie
Porte un domestique Dieu,
Qui toujours et en tout lieu
Secrettement le convie,
Voila pourquoy nous ne sommes
D’un mesme désir doutez :
Autant que nous voyons d’hommes,
Autant sont de volontez.
Mais ny la Court, ny les Princes
Ny le fer victorieux
Ny l’honneur laborieux
De commander aux provinces,
Ny les Muses, que j’adore
Ny un plus grave sçavoir.
Le souverain bien encore
Ne me feront pas avoir.
Je ne blâme la richesse,
Ny les hommes, ny les biens
Que pourroist bien faire miens