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Œuvres complètes de J. Du Bellay

De ce peuple qui tient les bords de la Tamise,
Et de celuy qui voit esclorre le matin
Anima contre soy d’un courage mutin
Ses propres nourrissons, sa despouille conquise,
Qu’il avoit par tant d’ans sur tout le monde acquise,
Devint soudainement du monde le butin.
Ainsi quand du grand Tout la fuite retournee
Où trente-six mil’ ans ont sa course bornee,
Rompra des elemens le naturel accord,
Les semences qui sont meres de toutes choses,
Retourneront encor’ à leur premier discord,
Au ventre du Chaos eternellement closes.

XXIII

O que celui estoit cautement sage
Qui conseilloit pour ne laisser moisir
Ses citoyens en paresseux loisir,
De pardonner aux rempars de Cartage !
Il prevoyoit que le Romain courage
Impatient du languissant plaisir
Par le repos se laisseroit saisir
À la fureur de la civile rage.
Aussi voit-on qu’en un peuple ocieux,
Comme l’humeur en un corps vicieux,
L’ambition facilement s’engendre.
Ce qui advint, quand l’envieux orgueil
De ne vouloir ni plus grand, ni pareil,
Rompit l’accord du beau-pere et du gendre.

XXIV

Si l’aveugle fureur, qui cause les batailles,
Des pareils animaux n’a les cœurs allumez,
Soient ceux qui vont courant, ou soiynt les emplumez
Ceux-la qui vont rampant ou les armez d’escailles
Quelle ardente Erinnys de ses rouges tenailles
Vous pinsetoit les cœurs de rage envenimez,
Quand si cruellement l’un sur l’autre animez
Vous destrempiez le fer en vos propres entrailles ?

Estoit-ce point (Romains) vostre cruel destin,