Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/62

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Si pour n’avoir jamais violé sa promesse,
On se doit resjouir en l’arriere saison,
Je dois à l’advenir, si j’ay quelque raison,
D’un grand contentement consoler ma vieillesse.

Je me console donc en mon adversité,
Ne requerant aux Dieux plus grand’felicité
Que de pouvoir durer en ceste patience.

Ô Dieux, si vous avez quelque souci de nous,
Octroyez moi ce don, que j’espere de vous,
Et pour vostre pitié, et pour mon innocence.

XLV

Ô marastre Nature (et marastre es-tu bien,
De ne m’avoir plus sage ou plus heureux fait naistre),
Pourquoy ne m’as-tu fait de moy-mesme le maistre,
Pour suivre ma raison, et vivre du tout mien ?

Je voy les deux chemins, et ce mal, et de bien :
Je sçay que la vertu m’appelle à la main dextre,
Et toutefois il faut que je tourne à senestre,
Pour suivre un traistre espoir, qui m’a fait du tout sien.

Et quel profit en ai-je ? ô belle récompense !
Je me suis consumé d’une vaine despense,
Et n’ay fait autre acquest que de mal et d’ennuy.

L’estranger recueillit le fruict de mon service,
Je travaille mon corps d’un indigne exercice,
Et porte sur mon front la vergongne d’autruy.

XLVI

Si par peine, et sueur, et par fidelité,
Par humble servitude, et longue patience,
Employer corps, et biens, esprit, et conscience,
Et du tout mespriser sa propre utilité :

Si pour n’avoir jamais par importunité
Demandé benefice, ou autre recompense,
On se doit enrichir, j’auray (comme je pense)
Quelque bien à la fin, car je l’ay merité.