Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/66

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Donc imiterons-nous le vivre d’une beste ?
Non, mais devers le ciel levant tousjours la teste,
Gousterons quelquefois la douceur du plaisir.

Celuy vrayement est fol, qui changeant l’asseurance
Du bien qui est present en douteuse esperance,
Veut tousjours contredire à son propre desir.

LIV

Maraud, qui n’es maraud que de nom seulement,
Qui dit que tu es sage, il dit la verité :
Mais qui dit que le soin d’eviter pauvreté
Te ronge le cerveau, ta face le desment.

Celuy vrayement est riche et vit heureusement
Qui s’esloignant de l’une et l’autre extremité,
Prescrit à ses desirs un terme limité :
Car la vraye richesse est le contentement.

Sus donc (mon cher Maraud) pendant que nostre maistre,
Que pour le bien publiq la nature a fait naistre,
Se tourmente l’esprit des affaires d’autruy,

Va devant à la vigne apprester la salade :
Que sçait on qui demain sera mort, ou malade ?
Celuy vit seulement, lequel vit aujourd’huy.

LV

Montigné (car tu es aux procez usité)
Si quelqu’un de ces Dieux, qui ont plus de puissance,
Nous promit de tous biens paisible jouissance,
Nous obligeant par Styx toute sa deité,

Il s’est mal envers nous de promesse acquitté,
Et devant Juppiter en devons faire instance :
Mais si lon ne peut faire aux Parques resistance,
Qui jugent par arrest de la fatalité,

Nous n’en appellerons, attendu que nous sommes
Plus privilegiez, que sont les autres hommes
Condamnez, comme nous, en pareille action :

Mais si l’ennuy vouloit sur nostre fantaisie,
Par vertu du malheur faire quelque saisie,
Nous nous opposerons à l’execution.