Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/67

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LVI

Baïf, qui, comme moy, prouves l’adversité,
Il n’est pas toujours bon de combatre l’orage,
Il faut caler la voile, et de peur du naufrage,
Ceder à la fureur de Neptune irrité.

Mais il ne faut aussi par crainte et vilité
S’abandonner en proye : il faut prendre courage,
Il faut feindre souvent l’espoir par le visage,
Et faut faire vertu de la nécessité.

Donques sans nous ronger le cœur d’un trop grand soin,
Mais de nostre vertu nous aidant au besoin,
Combatons le malheur. Quant à moy, je proteste

Que je veux desormais Fortune despiter,
Et que s’elle entreprend le me faire quitter,
Je le tiendray (Baïf) et fust-ce de ma teste.

LVII

Ce pendant que tu suis le lievre par la plaine,
Le sanglier par les bois, et le milan par l’air,
Et que voyant le sacre, ou l’espervier voler,
Tu t’exerces le corps d’une plaisante peine,

Nous autres malheureux suivons la court Romaine,
Où, comme de ton temps, nous n’oyons plus parler
De rire, de sauter, de danser, et baller,
Mais de sang, et de feu, et de guerre inhumaine.

Pendant, tout le plaisir de ton Gorde, et de moy,
C’est de te regretter, et de parler de toy,
De lire quelque autheur, ou quelque vers escrire.

Au reste (mon Dagaut) nous n’esprouvons ici
Que peine, que travail, que regret, et souci
Et rien, que Le Breton, ne nous peut faire rire.

LVIII

Le Breton est sçavant et sçait fort bien escrire
En François, et Tuscan, en Grec, et en Romain,
Il est en son parler plaisant et fort humain,
Il est bon compagnon, et dit le mot pour rire.