Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/75

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Je ne sçay comme il faut entretenir son maistre,
Comme il faut courtiser, et moins quel il faut estre
Pour vivre entre les grands, comme on vit aujourd’huy.

J’honore tout le monde, et ne fasche personne :
Qui me donne un salut, quatre je lui en donne :
Qui ne fait cas de moy, je ne fais cas de luy.

LXXV

Gordes, que Dubellay aime plus que ses yeux,
Voy comme la nature, ainsi que du visage,
Nous a faits differends de mœurs et de courage,
Et ce qui plaist à l’un, à l’autre est odieux.

Tu dis : je ne puis voir un sot audacieux,
Qui un moindre que luy brave à son avantage,
Qui s’escoute parler, qui farde son langage,
Et fait croire de luy, qu’il est mignon des Dieux.

Je suis tout au contraire, et ma raison est telle :
Celuy, dont la douleur courtoisement m’appelle,
Me fait outre mon gré courtisan devenir :

Mais de tel entretien le brave me dispense :
Car n’estant obligé vers luy de recompense,
Je le laisse tout seul luymesme entretenir.

LXXVI

Cent fois plus qu’à loüer on se plaist à mesdire :
Pource qu’en mesdisant on dit la verité,
Et loüant la faveur, ou bien l’auctorité,
Contre ce qu’on en croit fait bien souvent escrire.

Qu’il soit vray, prins-tu onc tel plaisir d’ouïr lire
Les loüanges d’un prince, ou de quelque cité,
Qu’ouïr un Marc Antoine à mordre exercité,
Dire cent mille mots qui font mourir de rire ?

S’il est donques permis, sans offense d’aucun,
Des mœurs de nostre tems deviser en commun,
Quiconque me lira, m’estime fol, ou sage :

Mais je croy qu’aujourd’huy tel pour sage est tenu,
Qui ne seroit rien moins que pour tel recognu,
Qui luy auroit osté le masque du visage.