Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/373

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de la légation prussienne, mais de toute la députation de l’empire réunie à Rastadt, il avait reçu pour réponse : Que le colonel ne pouvait lui parler, quand même il viendrait au nom de Dieu le Père et le Fils. M. de Jordan eut même beaucoup de peine à engager le capitaine, qu’il avait rencontré à Rotenfels, à faire remettre la lettre, parce que, disait-il, le colonel avait déjà reçu assez de courriers et d’estafettes pendant la nuit. M. de Jordan fut retenu si longtemps parce qu’il s’était répandu à Gernsbach un faux bruit touchant une attaque des Français vers Rastadt. La lettre du colonel annonce un homme d’honneur et de cœur. Il promet une escorte pour les personnes de la légation française ; quant à nous, il déclare qu’il sera inutile et inconvenable de les accompagner. Toutes les mesures furent prises sur-le-champ pour le prompt départ. Le médecin et le chirurgien étaient d’avis que ce voyage serait moins dangereux pour la santé de Jean Debry que la continuation de la crise alarmante dans laquelle il se trouvait ; lui et madame Roberjot désiraient également de ne pas perdre un moment. Nous partagions leurs sentiments. Le capitaine avait reçu en même temps l’ordre de les accompagner : mais il déclara qu’il lui était expressément défendu de nous laisser sortir avec eux, vu que les légations allemandes pouvaient se retirer chez elles, mais non du côté du Rhin. Quelque révoltant que fût ce traitement, nos réclamations auraient pu occasionner de nouveaux délais, et nous nous tûmes. En conséquence, le baron de Gemmingen commença à stipuler les conditions de la marche. L’escorte devait être composée du major de Harrant avec six hussards de Bade, et d’un officier impérial avec huit hussards de Szecklers. M. de Jordan, secrétaire prussien, qui, par sa mission à Gernsbach, avait fait connaissance avec les militaires, obtint seul la permission de suivre les voitures, grand motif de consolation pour les principaux personnages.

À une heure après-midi, le cortège se mit en route pour la troisième fois. Qui pourrait s’étonner de voir ces infortunés tremblants et couverts des pâleurs de la mort, lorsqu’ils s’exposaient de nouveau aux plus grands dangers, et qu’il nous était impossible à nous tous de faire passer dans leur cœur la confiance qu’il n’y avait plus rien à craindre ! ils faisaient semblant d’en croire nos assurances, mais entre eux et à ceux qui étaient les plus près d’eux, ils disaient tout bas : « Nous allons à la mort, nous serons assassinés. » Jean Debry prit congé, de la manière la plus touchante, de ses enfants et de sa femme, qui est presqu’à son terme. Rosenstiel recommanda sa famille, qui est depuis longtemps à Strasbourg, à son beau frère, M. Wicland, conseiller de légation de Weimar. Notre raison les blâma, mais pouvaient-ils avoir déjà perdu le souvenir de ce qui s’était passé ? Ils voyaient dans l’escorte l’uniforme de leurs meurtriers. — Dieu soit loué ! ces affreuses appréhensions étaient vaines. Le voyage fut accompli sans aucune rencontre fâcheuse. —