Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/89

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n’avait point de lettres pour leur femme ; on leur a répondu tranquillement : « Cela ne vous regarde pas ! » Une fois, il n’y a pas fort longtemps, les employés virent entrer dans la salle d’attente un homme visiblement agité et qui traînait, plutôt qu’il ne conduisait, une jeune femme pâle se soutenant à peine. Le monsieur fit la grosse voix et dit : « Avez-vous des lettres pour madame L… ? » L’employé prit le paquet correspondant à l’initiale du nom, le feuilleta avec soin, le referma de ce geste sec, sur et rapide que donne l’habitude, et répondit : « Il n’y en a pas. » Le couple dramatique sortit. Une heure après, la femme revint, seule cette fois et toute tremblante encore. Au premier coup d’œil, l’employé la reconnut, il prit de nouveau la liasse étiquetée L, en tira prestement une lettre et la remit à la malheureuse femme, qui se confondait en remercîments. « Elle était à votre adresse, lui dit l’employé, je ne devais la livrer qu’à vous ! » Je soupçonne cette femme d’avoir gardé une haute opinion des agents de la poste restante.

Vers un autre coin de l’hôtel des postes, et aussi isolé que possible, s’ouvre avec toute sorte de précautions un long cabinet mal éclairé, où le gaz est nécessairement allumé une bonne partie de la journée, cabinet silencieux et presque mystérieux : c’est le bureau des chargements. Vingt-trois employés, assis chacun devant une table spéciale, inscrivent et décrivent sur des registres paraphés à toutes les pages les lettres scellées de cinq cachets dont ils ont la responsabilité, J’ai dit plus haut les formalités vétilleuses que nécessite ce genre d’envoi ; nulle fraude n’est possible, ou du moins celui qui se hasarderait à en commettre une serait immédiatement découvert, car l’état civil d’une lettre chargée est tel, qu’on peut, en le consultant, savoir précisément en quelles mains elle a passé, combien de temps elle y a