Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/150

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l’enfer. Aussi, dans tous les supplices que nos pères eurent à connaître, le feu, comme épreuve judiciaire ou comme instrument définitif de la mort, joue le principal rôle. Il anticipe sur la damnation éternelle et la commence dans cette vie même ; l’homme, dans sa folie orgueilleuse et impitoyable, se substitue à Dieu et croit se grandir en voulant participer à l’œuvre du souverain juge.

En réalité, c’est le culte sans pardon des juifs, c’est la tradition du Moloch dévorateur qui, maintenus dans la religion, se sont glissés dans la justice. Ainsi, pendant bien des années, sous les rois les plus différents, au milieu des circonstances les plus diverses, l’usage, — ce grand mot qui a servi d’excuse à tant de sottises barbares, — persiste. La justice répudie toute commisération, toute intelligence de la faiblesse humaine ; elle ne veut point amender et ne sait que punir ; elle poursuit une sorte de pureté abstraite et mystique, en dehors de laquelle il n’y a point de salut ; il faut être ainsi qu’elle veut, ou mourir ; les lois civiles, les lois criminelles, les lois religieuses, semblent aboutir toutes à la peine sans rémission, à celle qu’on nomme par excellence l’acte suprême de la justice. Cette tradition sans merci pèse sur la France du moyen âge et de la Renaissance ; Richelieu, Mazarin, Louis XIV, l’acceptent sans hésiter ; le dix-huitième siècle, malgré les encyclopédistes, ne peut la briser ; la Révolution la reçoit tout entière, recule d’épouvante en l’étudiant, se laisse dominer par elle, et lègue à l’histoire le souvenir de la Terreur[1].

  1. Par ce qui s’est passé à Paris au mois de mai 1871, par le massacre froidement médité, froidement accompli des hommes de bien et de vie irréprochable qu’on a appelés les otages, on peut voir que cette tradition de meurtres prétendus juridiques n’est pas encore près de prendre fin et qu’on ne saurait trop réagir contre des doctrines si arriérées, si dangereuses, si profondément criminelles.