Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/347

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fée d’un mouchoir crasseux, chaussée de souliers avachis, qui sur les talus des remparts extérieurs a reçu d’un soldat la moitié d’un pain de munition. Elles ne sont pas fières entre elles ; elles savent comment elles ont débuté, elles savent comment elles finiront ; pour elles la différence des milieux n’entraîne ni le respect, ni le dédain, et la robe de soie cause volontiers avec les haillons rapiécés. Pendant qu’elles sont là, attendant leur tour d’être appelées près du chef de service, on a remis à ce dernier les procès-verbaux d’arrestation, constatant les contraventions déclarées ou les délits reprochés. Les rapports des inspecteurs du service actif, des sergents de ville, des chefs de poste, des commissaires de police, sont joints à chaque dossier personnel et grossissent le nombre de pièces instructives qui déjà y sont annexées.

Toutes ensemble on les fait entrer dans le bureau, et elles se trouvent en présence de l’homme qui les juge, qui écoute leurs griefs, apprécie les excuses qu’elles font valoir, et qui, selon la gravité des circonstances, les relaxe immédiatement ou propose de leur infliger une punition qui ne devient exécutoire qu’après avoir été approuvée par le chef supérieur. C’est un homme déjà d’un certain âge, très-doux, très-patient, très-humain, qui plus d’une fois, en présence de misères émouvantes, a tiré quelque pièce de vingt sous de sa poche, qui connaît son personnel sur le bout du doigt, dont la grande préoccupation est de n’avoir pas une injustice, pas un excès de pouvoir à se reprocher, qui, depuis nombre d’années, remplit les fonctions délicates dont il est chargé, et qui jouit dans toute son administration d’une considération méritée. On a le droit d’être surpris que, pour procéder à un interrogatoire qui peut révéler des faits particuliers, il fasse entrer toutes les filles ensemble dans son bureau. Ce monde-là est singulièrement