Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/365

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tent tout pour aller reprendre le galetas et l’absinthe du ruisseau natal.

Les filles qui occupent le premier rang dans la haute galanterie ont, presque toutes, été lancées par des femmes qui, reconnaissant en elles quelque beauté, devinant que les semences du mal germeraient vite sur le fumier des mauvais instincts, les ont recherchées, décrassées, poussées en avant. La femme qui fait ce métier est l’ogresse, elle a une part proportionnelle sur les bénéfices de sa pupille. Dans cette sorte de commerce, qu’on ne sait de quel nom appeler, l’exploitation atteint des proportions extravagantes. Pour conduire une de ces pauvres filles dans un monde élégant et riche, il faut qu’elle soit au moins convenablement vêtue ; elle ne possède généralement que quelques nippes bien simples et parfois très-usées ; l’ogresse intervient et loue la toilette complète : bagues, bijoux, robes et châles, montres et colliers, à des prix léonins qui parfois dépassent la valeur de l’objet[1]. On loue tout, jusqu’à des billets de banque, qu’on peut montrer pour prouver que l’on est riche et que l’on doit être traitée avec quelque considération. Beaucoup de blanchisseuses font ce métier en été et louent les robes en mousseline de leurs clientes à des filles dénuées de vêtements. L’ogresse est généralement marchande à la toilette en ses moments perdus et remplit volontiers un personnage intermédiaire dont les vieilles comédies ont souvent parlé.

Si, comme on l’a dit, la prostitution, ou plutôt son mode extérieur, est l’expression patente des mœurs se-

  1. Dans son excellent livre, M. C.-J. Lecour, chef de la première division de la préfecture de police, a cité des chiffres qui prouvent à quel point ces malheureuses sont exploitées par les ogresses : « Prix quotidiens de location : une parure, 30 francs ; une bague, 10 ; un bracelet, 13, un diadème, 100 ; une broche, 10 ; une aigrette, 90 ; une montre et une chaîne, 30. (La prostitution à Paris et à Londres, 2e édition. Paris, P. Asselin, 1872.)