Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/381

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chaussons de lisière ; enfin, on a fait bâtir une petite chapelle où l’image immaculée semble veiller sur la débauche repentie. La pauvre vieille racontait tout cela d’une voix chevrotante et me disait : « Voilà cinquante ans que je suis ici, c’est moi qui suis la doyenne[1]. »

L’œuvre gagne quelque argent, car il parait que les pensionnaires ont une habileté renommée pour la couture ; ce sont elles qui font une partie de la chemiserie fine que vendent les lingers à la mode. Je suis peu au fait des difficultés des points à crevés, des piqûres, des plis façonnés et des bordures dentelées, mais j’ai admiré l’incomparable adresse de ces ouvrières en les voyant, à l’aide de ciseaux assez grossiers, découper des clinquants de couleur, les assembler et obtenir de véritables chefs-d’œuvre de patience qui représentent le Calvaire entouré des instruments de la Passion. Comme toutes les femmes qui vivent ensemble, sous une règle uniforme, sans communication avec le monde extérieur, sous l’empire d’habitudes fixées d’avance et d’exercices de piété souvent renouvelés, elles s’attachent, dans le dénûment de leur existence, à mille petits détails insignifiants, qui pour elles deviennent des événements de premier ordre. Il m’a paru qu’elles retournaient vers l’enfance, et que volontiers elles joueraient à la poupée. Du reste, de quelque volonté de renoncement qu’elles soient animées, quelques efforts qu’elles fassent pour ne plus regarder que vers le ciel, la femme n’est point morte en elles, le sexe subsiste dans ce qu’il a de plus respectable et de plus attendrissant. Il y a quelques années, une dame visiteuse avait amené avec elle sa petite fille, âgée de trois ou quatre ans ; dès que ces pauvres femmes aperçurent l’enfant, elles écla-

  1. Une fille, vieille et retombée au plus bas, me parlant du Bon-Pasteur où elle était restée six semaines, au temps de sa jeunesse, me disait : « Ç’a été l’époque la plus heureuse de ma vie. »