Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/197

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impuissantes. La fille — pour dire le vilain mot — a pris possession de la scène et elle se faufile même à la Comédie-Française, qui jusqu’ici l’avait sagement repoussée.

Le théâtre d’autrefois était-il plus réservé, plus chaste que le nôtre, considérait-il qu’il avait charge d’âmes et qu’il devait se tenir toujours à une certaine hauteur ? Je n’en crois rien, et les choses me semblent n’avoir que bien peu changé. Racine, en présence de Louis XIV et de madame de Maintenon — ce qui n’était pas adroit — accusait le public de ne se plaire qu’aux bouffonneries de Scarron. « La plupart des femmes courent avec fureur aux spectacles de la foire ; je suis ravi de les voir dans le goût de leurs laquais et de leurs cochers, » disait Lesage en 1709. Marais écrit, au mois de novembre 1722 : « On joue Persée, et le goût est si tombé qu’on ne trouve plus les opéras de Lulli bons et qu’on leur préfère de petits ballets propres pour la foire ou les danseurs de corde. » Ne croirait-on pas qu’il s’agit de la Belle Hélène ou d’Orphée aux Enfers ? Nous estimons aussi que c’est de notre temps seulement que les chanteurs ont crié au lieu de chanter. On lit dans une lettre d’Horace Walpole, datée du 14 septembre 1765 : « L’opéra français que j’ai entendu ce soir m’a dégoûté comme toujours, d’autant plus qu’il était suivi du Devin de village, qui démontre qu’on peut chanter sans crever pour cela le tympan de nos oreilles. »

Cette décadence dramatique, dont nous nous accusons volontiers, ne nous empêche pas de pouvoir passer une soirée à écouter du beau langage récité par des gens habiles ; la Comédie-Française réserve plus d’une joie aux curieux de haute littérature. Dans cette maison — la maison de Molière — dont les lettres de noblesse datent de 1680, on trouve des acteurs qui ont souci de l’art, des écrivains qui respectent leur fonction