Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/245

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456 banquiers envoient chaque jour « des ordres » aux 60 agents de change privilégiés, qui seuls ont pouvoir de vendre ou d’acheter régulièrement les fonds publics. À entendre les cris que l’on pousse, à voir les gestes d’énergumène que l’on fait autour de la corbeille de la Bourse[1], on peut imaginer qu’il n’y a pas sur terre un plus pénible métier. Pour une affaire sérieuse que l’on traite en vociférant, combien en bâcle-t-on qui ne sont que des spéculations aléatoires ? Le carnet seul des agents pourrait répondre, mais il reste muet pour les profanes, car il est gribouillé de signes qui sont indéchiffrables lorsqu’on n’en connaît pas la clef.

Au-dessous de la Bourse et en dehors, s’agitent et pullulent les irréguliers de la finance qui, sous le nom générique et expressif de coulisse, de marronnage, de ruisseau, refont à leur guise, selon leurs espérances ou leurs craintes, les opérations que les agents de change ont conclues. Après la pièce principale jouée par de vrais acteurs, c’est l’intermède souvent bouffon, parfois sinistre, exécuté par les paillasses. Nul travail parmi ces gens-là, et pourtant un labeur excessif, une activité fébrile, un déploiement d’astuce extraordinaire pour parvenir au but des âmes médiocres, qui est le gain apporté par le jeu. On peut leur répéter la grande parole de Franklin : « Si quelqu’un vient vous dire qu’il est d’autres moyens de faire fortune que le travail et l’économie, chassez-le, c’est un imposteur, » ils n’en tiendront compte ; ils ont pris l’habitude de cette vie décevante, et l’exemple de quelques aventuriers subitement enrichis par un coup de fortune suffit à les y maintenir.

La plupart usent leurs forces à agripper, vaille que vaille, les quinze ou vingt francs dont ils ont besoin

  1. La Bourse de Paris a été créée, par arrêt du conseil, le 24 septembre 1724.