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à coups de fusil et aux cris de : « Vive la République » ? L’émeute de juin 1832, qui éclata derrière le cercueil du général Lamarque, fut grave ; elle tint Paris en alerte pendant trois jours et fut difficilement comprimée. La défaite de l’insurrection laissa dans certains cœurs un relent de rancune qui ne devait pas tarder à s’aigrir ; le régicide va naître, et l’on sait à quelles tentatives nombreuses, savantes, désespérées, Louis-Philippe échappa. Son gouvernement fut sans violence et sans oppression ; aussi ne peut-on comprendre pourquoi il suscita tant de haines. L’auteur du premier attentat fut acquitté devant la Cour d’assises, parce que nulle preuve positive de sa culpabilité ne put être produite. Cependant il était coupable ; à l’heure où nous écrivons, on peut le dire sans péril pour lui.

Le 19 novembre, Louis-Philippe avait solennellement ouvert la session parlementaire de 1832. À cheval, escorté de sa maison militaire, à laquelle s’étaient joints plusieurs officiers généraux, il était sorti des Tuileries par la porte des Lions et s’était engagé sur le Pont Royal, afin de suivre le quai d’Orsay jusqu’au palais du Corps législatif. Au moment où, arrivé devant la rue du Bac, il allait tourner à droite, un coup de pistolet fut tiré sur lui. Au bruit de la détonation, le comte d’Houdetot se précipita vers le roi et lui dit : « Sire, on vient de tirer un coup de fusil sur Votre Majesté. » Le roi répondit : « Non, c’est un coup de pistolet, je l’ai vu. » Un pistolet de poche encore chaud fut ramassé près du parapet ; plus loin, on en trouva un autre, chargé, amorcé, semblable au premier. On recueillit aussi un fragment de papier, où l’on distinguait deux syllabes à désinence latine, qui avait servi de bourre. On eut bientôt arrêté plusieurs personnes qui pouvaient être soupçonnées, et entre autres un certain Bergeron, sur lequel pesaient des présomptions dont la gravité était lourde.

Ce Bergeron avait alors vingt et un ans, il avouait s’être battu au cloître Saint-Merry et se vantait d’avoir « descendu » plus d’un soldat. C’était une nature sombre, un mécontent de son sort, ardent aux discussions politiques, affilié à la Société des Droits de l’Homme, où il était chef de section, énergique et barbu : « un bousingot ». Il était maître d’étude — pion — à la pension de Reusse, qui allait en répétition au collège Saint-Louis, et il était chargé de surveiller les élèves de quatrième. Le professeur de la classe de