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le fauteuil de « Capet », et, reprenant sa route au jour le jour, il revint en Prusse.

Comment Naudorf devint-il propriétaire de ce fauteuil ? On l’ignore ; mais on sait qu’il l’avait dans son mobilier, lorsqu’il habitait Spandau, où il séjourna pendant dix ans, de 1812 à 1822. Le fauteuil était vieux et son voyage dans une charrette, à travers la moitié de l’Europe, ne l’avait point rajeuni. Le cuir dont il était revêtu s’en allait en lambeaux, mais les bois restaient solides. Naudorf voulut le recouvrir ; il décloua le cuir de Cordoue, et de l’intérieur du dossier s’échappa une grande quantité de petits papiers roulés. Il les déplia, vit de l’écriture, chercha à la déchiffrer et n’y parvint pas. Il devina cependant que c’était du français. Il montra sa trouvaille à un apothicaire nommé Rebstock[1], qui savait bien la langue française.

Naudorf comprit, à certains détails, l’importance de sa découverte, fit traduire en allemand les phrases françaises et s’en pénétra si bien que, longtemps après, ce sont ces souvenirs du premier âge qui déterminèrent des contemporains de l’enfance du dauphin à le reconnaître pour Louis XVII.

Est-ce à ce moment qu’il commença à jouer son personnage ? Je ne le crois pas ; l’apothicaire était un témoin incommode. Il se transporta à Brandebourg, et c’est lorsqu’il est interrogé sur les faits de fausse monnaie (fin 1824) que pour la première fois il déclare qu’il est un prince de la maison de France. On crut à une mystification et on n’attacha aucune importance à ses paroles. Ses prétentions ne se sont point éteintes avec lui ; il les a léguées à ses enfants qui, pour éviter la prescription, saisissent, tous les dix ans, les tribunaux français de réclamations auxquelles les avocats n’ont jamais manqué[2]. Dans le dernier procès plaidé de mon temps pour cette cause singulière, c’est Jules Favre

  1. Je crois bien que l’apothicaire se nommait Rebstock, mais je n’en suis pas certain. Naudorf fut également aidé dans ses revendications par un magistrat subalterne appelé Pezold.
  2. Les détails de la prétendue évasion du dauphin, enlevé à la prison du Temple, répétés à satiété par les faux Louis XVII, ont été puisés dans un roman royaliste intitulé : Le Cimetière de la Madeleine (Paris, 1800, 4 vol. in-12), par Regnault Warin. Les faux dauphins ont été nombreux. Je compte : Hervagault (1798) ; Fruchard (1815) ; Marassin (1816) ; Bruneau (1816) ; Dufresne (1818) ; Persat (1824) ; Mèves (1830) ; Fontolive (1830) ; Richemont (1831) ; Nau-