Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/140

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si l’imprudence avait été excessive, le châtiment dépassait la mesure. Chacun, néanmoins, y trouva sa satisfaction ; la Russie fut vengée de la prise de Sébastopol ; l’Italie se sentit débarrassée de l’embargo que nous mettions sur Rome ; l’Autriche y voyait une contrepartie de Solférino, et l’Angleterre y trouvait une compensation à l’annexion de la Savoie, qu’elle ne nous avait jamais pardonnée.

Tous les Cabinets d’Europe, délivrés par le fait de l’ingérence souvent encombrante de la France, désiraient que la guerre ne se prolongeât pas. Il leur convenait d’avoir désormais des relations avec une France affaiblie, mais il y avait un danger sérieux pour l’équilibre politique à la laisser amoindrir dans de graves proportions. La France vaincue cessait d’être puissance dirigeante ; elle devenait puissance consultante, c’était bien ; c’était assez pour apaiser les rancunes et rassurer l’avenir, car toutes les nations d’Europe — même l’Allemagne — ont besoin de notre contrepoids. On peut affirmer, sans craindre d’être démenti par les documents qui seront connus plus tard, que tous les Cabinets se seraient mis d’accord et auraient entrepris une action commune pour garantir l’intégrité de notre territoire et maintenir sur le trône un souverain que sa défaite eût rendu docile.

Le 2 septembre au soir, les neutres seraient volontiers intervenus en notre faveur ; deux jours après, il n’en était plus ainsi, et le Gouvernement de la Défense nationale ne parut même pas le soupçonner. La difficulté n’eut rien d’embarrassant ; on en fut quitte pour ne pas reconnaître le nouveau gouvernement ; nescio vos. Cela justifie toutes les désertions et toutes les palinodies. L’Europe a-t-elle gagné quelque chose à être brutalisée par l’Allemagne, au lieu d’être taquinée par la France ? L’avenir répondra à cette question. Après la chute de l’Empire, la République ne fut reconnue que par les États-Unis, dont le représentant, Washburn, nous témoigna une sympathie si discrète que bien des gens ne l’aperçurent pas.

Les deux nations sur lesquelles on avait cru pouvoir compter : l’Autriche, parce qu’elle haïssait la Prusse, l’Italie, parce qu’elle avait contracté une dette de reconnaissance envers nous — comme si la reconnaissance pouvait avoir une valeur quelconque en politique — se dérobèrent et abritèrent leur inaction derrière leur intérêt personnel. Celle