Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/175

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Il n’est, du reste, quolibet que l’on n’ait lancé contre le Gouvernement de la Défense nationale ; on jouait sur les mots : gouvernement de la démence, de la dépense nationale ; cela n’était point nouveau et j’en avais entendu bien d’autres sous la Restauration, la monarchie de Juillet, la République de 1848 et le Second Empire, car le respect semble incompatible avec le caractère français. Une réintégration de Napoléon III était-elle possible ; le souverain vaincu, prisonnier, pouvait-il sortir du château de Wihelmshœhe pour rentrer aux Tuileries ? En toute sincérité, je ne sais que répondre. Après la guerre, la France était tellement lasse, tellement désorientée, qu’elle eût peut-être accepté sans résistance n’importe quelle solution, semblable à un malade surmené qui ne demande rien, sinon qu’on le laisse dormir.

Gambetta, qui avait des visées naturellement plus hautes que celles de Crémieux et de Glais-Bizoin, ne put échapper à cette obsession de l’Empire, et c’est, je crois, à cela qu’il faut attribuer les incohérences qui ont marqué l’action qu’il exerça, presque sans contrôle, pendant quatre mois. Comme Macbeth épouvanté par le spectre de Banco, il était poursuivi par un fantôme d’empereur, qui faisait le geste de ressaisir la couronne. Il se crut Carnot et voulut, de plein cœur, organiser la victoire ; en réalité, les faits l’ont démontré, il n’a organisé que la défaite. D’une France blessée, il a fait une France moribonde.

Effort désespéré d’un patriote ou d’un ambitieux ? qui le saura jamais, qui a pénétré jusqu’au fond de cette conscience génoise, en a développé les replis et en a lu le secret ? Il est mort jeune, dans la force de sa virilité, déjà conspué par les énergumènes de son parti, ayant à peine ébauché sa destinée et emportant dans la tombe le mystère de sa pensée intime. Il eut des amis, des admirateurs, des familiers, mais il n’eut point de confident. Il avait de lui-même une opinion excessive ; il croyait à son génie — le mot n’est pas trop fort ; jamais il ne s’est ouvert, et l’on ignore de quels projets, de quels rêves son âme était travaillée, pendant qu’il fut le dictateur de la France.

Au gouvernement que Gambetta allait représenter à Tours et absorber à son profit, l’on peut appliquer la parole que Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, a prononcée sur la première Restauration (1814) : « Ce n’était