Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/191

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discuter seront plus douces que celles de Ferrières et nous les pourrons faire accepter par la population. Double illusion qui ne devait pas être de longue durée. Thiers était revenu ; son effort pour amener Gambetta, qu’il vit à Tours, à l’idée d’un armistice fut considérable et peu utile ; il réussit plus facilement auprès du gouvernement de Paris, où l’on ressentait déjà quelque lassitude. Il ne laissa point ignorer qu’en Europe nous étions dans un isolement moral qui ressemblait à un abandon. Sans nous être hostile, on nous témoignait une indifférence absolue ; on ne nous pardonnait pas d’avoir été les agresseurs en déclarant une guerre qui eût pu s’étendre sur le continent tout entier ; on nous blâmait de la continuer et de ne pas vouloir reconnaître notre défaite ; partout le même conseil avait été donné : « Négociez et nous pourrons peut-être faire écouter notre voix ; plus tard, il serait trop tard et nous ne serions plus en droit d’en appeler à la modération de la Prusse. »

Ces avis, on les admettait en principe et l’on eût bien voulu les faire prévaloir, mais on se méfiait de la partie agitée de la population parisienne ; on savait, par les rapports de police, que la garde nationale contenait 20 000 repris de justice, aptes aux mauvaises besognes, et 10 000 sectaires capables de tout. Or la théorie du parti républicain avait toujours été qu’avec trois cents hommes résolus une révolution est possible. Les membres du gouvernement n’ignoraient pas cela et ne se sentaient point rassurés. En tout cas, il ne pouvait être question de traiter de la paix, car il était impossible de traiter pour la France qui n’avait pas de représentation légale ; il ne s’agissait donc que d’obtenir un armistice pendant lequel on ferait des élections.

Thiers fut chargé de la négociation, qui était si clairement indiquée par les circonstances que les gens raisonnables de France et d’Allemagne ne doutèrent pas du succès. Il quitta Paris le lundi 31 octobre dans la matinée, pour retourner à Versailles discuter avec Bismarck les conditions de l’armistice, qui devait s’étendre à la France entière et même à Metz, dont on était sans nouvelles, mais où bien des naïfs croyaient encore que Bazaine ferait « sa trouée ». Bazaine — l’héroïque Bazaine — avait été, comme Trochu, l’enfant chéri de l’opinion publique ; l’un et l’autre passaient pour être en assez mauvais termes avec le gouvernement impérial et il n’en avait pas fallu davantage pour qu’on les