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de la cassette privée de la princesse Adélaïde d’Orléans ; a-t-il gardé rancune du rôle sacrifié d’avance que Gambetta lui a imposé dans l’Est, au mois de janvier 1871 ; sera-t-il tenté par le bâton de maréchal de France et même par l’épée de connétable ? Ce sont là des questions auxquelles sa sœur, qui est auprès de l’impératrice Eugénie, pourrait peut-être répondre.

« Je ne sais réellement pas qui s’opposerait à un mouvement pareil, s’il était bien conduit, après entente préalable avec les chefs militaires sur lesquels on peut compter ; les légitimistes sont si bien entortillés dans les plis du drapeau blanc qu’ils ne peuvent s’en dépêtrer ; les républicains sont plus divisés qu’une galette au jour des Rois, et chacun prétend posséder la fève ; les orléanistes, on en a beaucoup parlé, mais je ne les crois pas redoutables ; ils se déconsidèrent en réclamant de l’argent à la France appauvrie.

« La France est actuellement comme la Sœur Anne ; elle regarde du haut des tours et ne voit rien venir ; elle bénira celui qui la délivrera de Barbe-Bleue. Chaque année qui s’écoule ajoute douze mois à l’âge de l’Empereur : il est temps d’agir, car il ne faut pas que l’on puisse dire de lui : « Il est trop vieux. »

La note se terminait par l’énumération d’une série de mesures destinées à remettre le pays sur pied et à le guérir, s’il se pouvait, des défauts qui l’ont poussé à sa perte. Dans ces conseils, dont quelques-uns m’ont paru sages, j’ai relevé cette phrase : « Quant à son grand vice, à son vice essentiel, l’infidélité, elle n’en guérira jamais, car il est inhérent à son sexe ; la France est femme. » Je reconnais que le correspondant de Napoléon III était peu galant, mais son projet était bien conçu et n’avait rien d’impraticable. C’était pour tenter l’esprit aventureux de l’homme qui avait vécu dans les « ventes » des conjurés de la « Jeune Italie », qui, par goût naturel, aimait les machinations ténébreuses et qui avait fait les équipées que l’on sait à Strasbourg et à Boulogne. Le général que l’on désignait à son choix était, de tous les chefs d’armée, celui qui devait le moins se refuser à une telle aventure ; c’était le dernier commandant de la garde impériale ; c’était Bourbaki[1].

  1. Le général était fils de ce Bourbaki, capitaine d’une felouque grecque, qui partit de Marseille pour aller en Égypte porter à Bonaparte la lettre par laquelle Joseph, futur roi de Naples et d’Espagne,