Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/90

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soin fut de faire apposer les scellés sur les portes des salles du Corps législatif, afin qu’il fût impossible aux députés de s’y réunir. Cette mission, qui n’exigeait que peu de délicatesse, fut confiée à Glais-Bizoin, sorte de fantoche qui semblait échappé d’une fabrique de joujoux de Nuremberg et qui était si naturellement ridicule qu’il était un objet de risée même pour ses amis les plus intimes. La salle des séances n’était point vide, tant s’en faut ; le peuple, il est vrai, en avait chassé les représentants, mais il avait pris leur place et s’y gobergeait. On avait mis la buvette à contribution ; on lampait, on mangeait, on fumait, on chantait. Les huissiers — gens d’importance — étaient consternés de ce manque de respect. Glais-Bizoin harangua le peuple et s’en tira avec esprit. « Libre à vous de rester, mais vous serez sous les scellés, car mon devoir est de les apposer aux portes ; vous serez certains de n’être pas dérangés. » On se mit à rire, on applaudit, on but un dernier coup et l’on s’en alla. On n’en était pas quitte cependant avec la représentation nationale, il ne fallut rien de moins que l’éloquence hautaine de Jules Favre et les bons conseils de Thiers pour qu’elle se reconnût vaincue et dissoute.

Deux cents députés environ, ne croyant pas qu’une émeute eût le droit de briser leur mandat, s’étaient réunis, le soir, à l’Hôtel de la Présidence, c’est-à-dire au Palais-Bourbon. Ils avaient eu la pensée d’aller siéger dans la salle ordinaire de leurs séances, mais ils avaient appris qu’elle était sous scellés et s’étaient groupés dans la salle à manger de Schneider. Thiers semblait l’homme du jour, dans lequel on espérait et qui se dérobait par toute sorte de subterfuges, qui, aux prières, aux sommations qu’on lui adressait, répondait invariablement : « Je ne puis vous être qu’inutile actuellement ; ne m’usez donc pas dans un labeur stérile ; plus tard vous aurez besoin de moi et vous me trouverez tout entier. » Sa perspicacité avait-elle déjà entrevu la présidence de la République ? Il se peut bien. On le nomma président de cette séance funèbre, au cours de laquelle on espérait peut-être pouvoir ressaisir un peu de cette légalité qui allait, si cruellement pour la France, faire défaut au nouveau gouvernement. On envoya sept délégués à l’Hôtel de Ville, afin d’apprendre aux maîtres improvisés que la réunion, modifiant le projet présenté dans la journée par Thiers, substituait aux mots : « Vu les circonstances », les termes de :