Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/105

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que je rends cet honneur, c’est à votre âge ; et pour vous donner des marques réelles de mon affection, je vous fais dès maintenant premier président du tribunal des Mathématiques. »

Ce fut pour ce vieillard le comble du bonheur ; jamais de sa vie il ne goûta une joie si pure.

Lorsqu’on a à traiter avec les Chinois, il faut bien se donner de garde de se laisser dominer à un naturel trop vif ou trop ardent : le génie du pays demande qu’on soit maître de ses passions, et surtout d’une certaine activité turbulente qui veut tout faire, et tout emporter. Les Chinois ne sont pas capables d’écouter en un mois, ce qu’un Français pourrait leur dire en une heure : il faut souffrir, sans prendre feu, ce flegme qui semble leur être plus naturel qu’à aucune autre nation ; car ils ne manquent pas de feu et de vivacité, mais ils apprennent de bonne heure à se rendre maîtres d’eux-mêmes. Aussi se piquent-ils d’être plus polis, et plus civilisés, qu’on ne l’est ailleurs.

Il en coûte à un étranger pour se rendre civil et poli, selon leur goût. Leur cérémonial en plusieurs occasions est gênant et embarrassant : c’est une affaire que de l’apprendre, et c’en est une autre que de l’observer ; mais cet embarras ne regarde guère que la manière de traiter avec les personnes à qui on doit un grand respect, ou certains cas particuliers, comme les premières visites, les jours de la naissance d’un mandarin, etc. Car quand on s’est vu plusieurs fois, on agit ensemble avec la même familiarité et la même aisance qu’on peut faire en Europe. Et si l’on veut user de cérémonies, ils sont les premiers à vous dire : pou iao tso he, ne faites pas avec moi l’étranger, sans façon, sans façon.

Si les Chinois sont doux et paisibles dans le commerce de la vie, et quand on ne les irrite pas, ils sont violents et vindicatifs à l’excès, lorsqu’on les a offensés. En voici un exemple : on s’aperçut dans une province maritime, que le mandarin avait détourné à son profit une grande partie du riz, que l’empereur dans un temps de stérilité envoyait, pour être distribué à chaque famille de la campagne ; les peuples l’accusèrent à un tribunal supérieur, et prouvèrent que de quatre cents charges de riz qu’il avait reçues, il n’en avait donné que quatre-vingt-dix. Le mandarin fut cassé sur l’heure de son emploi.

Quand il fut sorti de la ville pour prendre le chemin de la mer, il fut bien surpris qu’au lieu de trouver à son passage des tables chargées de parfums, de nouvelles bottes à changer, comme on use à l’égard de ceux qui se sont fait estimer et aimer du peuple, il se vit environné d’une foule prodigieuse de peuples, non pas pour lui faire honneur, mais pour l’insulter, et lui reprocher son avarice. Les uns l’invitèrent par dérision à demeurer dans le pays, jusqu’à ce qu’il eût achevé de manger le riz, que l’empereur lui avait confié pour le soulagement des peuples ; d’autres le tirèrent hors de sa chaise et la brisèrent ; plusieurs se jetèrent sur lui, déchirèrent ses habits, et mirent en pièces son parasol de soie ; tous le suivirent jusqu’au vaisseau, en le chargeant d’injures et de malédictions.

Quoique les Chinois, pour leurs intérêts particuliers, soient naturellement vindicatifs, ils ne se vengent jamais qu’avec méthode ; ils dissimulent