Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/300

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trois pieds de demi de diamètre, et deux pieds de demi de hauteur : le fond devait être épais d’un demi pied, et les parois d’un tiers de pied. On travailla trois ans de suite à ces ouvrages, et on fit jusqu’à deux cents urnes sans qu’une seule pût réussir.

Le même empereur ordonna des plaques pour des devants de galerie ouverte ; chaque plaque devait être haute de trois pieds, large de deux pieds de demi, et épaisse d’un demi pied : tout cela, disent les annales de King te tching, ne put s’exécuter, et les mandarins de cette province présentèrent une requête à l’empereur, pour le supplier de faire cesser ce travail.

Cependant les mandarins, qui savent quel est le génie des Européens en fait d’invention, m’ont quelquefois prié de faire venir d’Europe des dessins nouveaux et curieux, afin de pouvoir présenter à l’empereur quelque chose de singulier. D’un autre côté, les chrétiens me pressaient fort de ne point fournir de semblables modèles ; car les mandarins ne sont pas tout à fait si faciles à se rendre que nos marchands, lorsque les ouvriers leur disent qu’un ouvrage est impraticable, et il y a souvent bien des bastonnades données, avant que le mandarin abandonne un dessin, dont il se promettait de grands avantages. Comme chaque profession a son idole particulière, et que la divinité se communique ici aussi facilement, que la qualité de comte et de marquis se donne en certains pays d’Europe, il n’est pas surprenant qu’il y ait un dieu de la porcelaine. Le pou sa[1] doit son origine à ces sortes de dessins, qu’il est impossible aux ouvriers d’exécuter.

On dit qu’autrefois un empereur voulut absolument qu’on lui fît des porcelaines sur un modèle qu’il donna : on lui représenta diverses fois que la chose était impossible : mais toutes ces remontrances ne servirent qu’à exciter de plus en plus son envie. Les empereurs sont durant leur vie les divinités les plus redoutées à la Chine, et ils croient souvent que rien ne doit s’opposer à leurs désirs. Les officiers redoublèrent donc leurs soins, et ils usèrent de toutes sortes de rigueurs à l’égard des ouvriers. Ces malheureux dépensaient leur argent, se donnaient bien de la peine, et ne recevaient que des coups. L’un d’eux dans un mouvement de désespoir, se lança dans le fourneau allumé, et il y fut consumé à l’instant. La porcelaine qui s’y cuisait, en sortit, dit-on, parfaitement belle, et au gré de l’empereur, lequel n’en demanda pas davantage. Depuis ce temps-là, cet infortuné passa pour un héros, et il devint dans la suite l’idole qui préside aux travaux de la porcelaine. Je ne sache pas que son élévation ait porté d’autres Chinois à prendre la même route, en vue d’un semblable honneur.


Parallèle de la porcelaine ancienne avec la moderne.

La porcelaine étant dans une grande estime depuis tant de siècles, peut-être souhaiterait-on savoir en quoi celle des premiers temps diffère de celle de nos jours, et quel est le jugement qu’en portent les Chinois. Il ne faut pas douter que la Chine n’ait ses antiquaires, qui se préviennent en faveur des anciens ouvrages. Le Chinois même est naturellement porté à respecter l’antiquité : on trouve pourtant des défenseurs du travail

  1. C'est le nom de cette idole.