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possédait[1] avant sa chute, et il a enveloppé tous ses enfants dans son malheur. O Ciel ! vous pouvez seul y apporter remède : effacez la tache du père, et sauvez la postérité.


SIXIÈME ODE
Lamentations sur les misères du genre humain.


Qu’il[2] tombe tant de grêle dans cette saison, c’est un prodige. La douleur blesse mon âme, quand je vois les désordres des pécheurs. Peuvent-ils aller plus loin ? Regardez le triste état où je suis réduit : ma douleur croît à chaque instant. Ayez quelque égard aux soins que je me donne : la tristesse me tue, et je suis obligé de la cacher.

J’ai reçu la vie de mes parents : ne me l’ont-ils donnée, que pour que je fusse accablé de tant de maux ? Je ne puis ni avancer ni reculer. Les hommes exercent leurs langues à se flatter, ou à se détruire et quand j’en parais affligé, je suis l’objet de leurs railleries.

J’ai le cœur rempli d’amertume en voyant une telle misère ; les plus innocents sont le plus à plaindre : d’où peuvent-ils espérer du secours ? Où vont s’arrêter ces corbeaux ? Qui sont ceux qui doivent leur servir de proie ?

Voyez cette grande forêt : elle n’est pleine que de bois propre à être jeté au feu. Le peuple accablé de tant de maux regarde le Ciel[3], et semble

  1. Bien que le Ciel, dit Tchu hi, soit tellement élevé au-dessus de nous, qu’il semble que ce bas monde soit indigne de ses soins ; cependant ses voies et ses desseins sont impénétrables : il peut fortifier la faiblesse même, et rétablir l’ordre, lors même que tout paraît perdu. Si Yeou vang voulait changer, et devenir un homme nouveau, le Ciel suspendrait son arrêt, et la postérité de ce malheureux n’aurait pas été tout à fait perdue.
  2. Il y a dans la poésie ancienne mille endroits, comme le début de cette ode, et comme le commencement de la quatrième et de la septième stance. Le style en est plus noble et plus poétique : c’est le goût dans lequel tout le Chi king a été fait ; et ce goût dure même encore aujourd’hui.
  3. Tchu song tching, un des descendants de Tchu hi parle en cet endroit d’une manière très claire. Rendre heureux les bons, dit-il, et punir sévèrement les méchants, c’est la règle constante que le Ciel observe. Que si l’on ne voit pas toujours en ce monde les gens de bien récompensés, et les méchants punis, c’est que l’heure décisive de leur sort n’est pas venue. Avant ce dernier moment l’homme peut, pour ainsi dire, vaincre le Ciel. Mais quand l’arrêt sera une fois porté, le Ciel certainement triomphera de tout. Tel qui est aujourd’hui puni, peut demain être récompensé : et tel qui aujourd’hui reçoit des récompenses, peut dès demain recevoir des châtiments. Quand le Ciel châtie, on dirait qu’il est en colère : mais il est de la justice de punir le crime ; et la justice ne vient point de colère et de haine : Que s’il ne punit pas sur-le-champ des gens qu’il doit punir un jour, ce n’est point non plus par une molle complaisance pour eux : c’est que le dernier arrêt n’est pas encore porté ; et le Ciel ne veut pas que nous sachions quand ce moment fatal doit arriver, afin de nous obliger à veiller sans cesse.