Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/477

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bien se donner de garde de s’introduire lui-même d’une manière indécente dans le palais des princes, et qu’il doit attendre qu’on l’invite, et qu’on le presse d’y aller ; que le plus vil artisan rougirait de ne pas suivre les règles de son art ; que de même un sage doit montrer dans toute se conduite la droiture de son cœur, l’honnêteté de ses mœurs, et l’équité de ses actions ; que s’il cherche à s’élever aux dignités, afin de pouvoir mieux répandre sa doctrine, il ne doit user que des moyens que l’équité prescrit ; que s’il demeure dans une condition privée, il doit être tranquille, puisqu’il mérite également d’être honoré à cause de l’excellence de sa doctrine.

Le premier ministre du royaume de Song étant venu trouver Mencius, lui fit connaître le dessein qu’il avait d’abolir la coutume odieuse qui s’était introduite, de charger le peuple d’impôts ; qu’il souhaitait de faire revivre les anciennes lois qui n’exigeaient pour tribut que la dixième partie de la récolte, et qui défendaient de taxer les marchandises étrangères qui entraient dans le royaume : mais, ajouta-t-il, comme il y a longtemps que ces sages lois ne sont plus en vigueur, et qu’elles paraissent tout à fait oubliées, je ne crois pas devoir les rétablir tout d’un coup : il vaut mieux ce me semble, le faire peu à peu, afin d’y parvenir insensiblement, et par des progrès imperceptibles. Qu’en pensez-vous ?

Je ne répondrai à votre question, dit Mencius, que par une comparaison familière. Un certain homme avait pris l’habitude de dérober tous les jours quelques poules de ses voisins : un de ses amis qui s’en aperçut, eut le courage de lui représenter que cette action était honteuse et indigne d’un homme d’honneur et de probité. Je l’avoue, répondit le docteur ; mais c’est un vice qui a pris en moi de trop fortes racines, pour pouvoir m’en corriger tout d’un coup. Voici ce que je ferai : je ne déroberai plus qu’une seule poule par mois ; et enfin le temps viendra que je m’abstiendrai tout à fait de ce larcin. Qu’en pensez-vous, poursuivit Mencius ? Croyez-vous que cet homme qui reconnaît et déteste son vice ne doive pas s’en corriger sur l’heure ?

Environ ce temps-là, deux sectes infectaient l’empire de leur mauvaise doctrine. Yang était l’auteur de la première, et de la seconde. Mencius zélé défenseur de l’ancienne doctrine réfutait continuellement leurs erreurs ; c’est ce qui d’abord le fit passer pour un homme hargneux, de mauvaise humeur, et qui n’aimait qu’à disputer. Un de ses disciples, qui avait à cœur la gloire de son maître, lui rapporta que ces étrangers, dont il combattait les opinions, le décriaient de tous côtés, et le faisaient passer pour un disputeur éternel.

Que ne puis-je me condamner au silence pour le reste de mes jours, répondit Mencius ? Mais c’est ce qui ne m’est pas permis, et mon devoir m’oblige de forcer mon inclination et de m’opposer a ce torrent d’opinions dangereuses, dont on voudrait inonder l’empire. Depuis le sage gouvernement des empereurs Yao et Chun, où le peuple vivait tranquille à l’ombre de leur autorité, on a vu une vicissitude continuelle de bon et de mauvais gouvernement. Les empereurs qui succédèrent à ces sages princes,