Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/489

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laboureur. On voit dans chaque membre de l’homme la même inclination naturelle pour son objet : tous les yeux, par exemple, sont également touchés de la beauté ; toutes les oreilles sont également frappées d’une excellente musique ; tous les organes du goût savourent également un mets exquis, d’où l’on juge qu’il y a une parfaite conformité dans les sensations de l’homme : serait-il possible qu’il n’y aurait parmi eux que le cœur qui fût différent ? C’est ce qu’on ne peut pas dire.

Mais en quoi consiste cette ressemblance du cœur dans tous les hommes ? C’est dans la droite raison qui est partout la même. Que si l’on néglige d’entretenir ces lumières de la droite raison ; si on cesse de cultiver ce penchant naturel, qui nous porte à la vertu, il en sera de même que d’une jeune plante qui se dessèche, et qui meurt, si on n’a pas loin de l’arroser.

Quand je demeurais dans le royaume de Tsin, j’allais voir de temps en temps le roi Suen vang et je n’étais nullement surpris de l’aveuglement extrême où il était ; car il ne se donnait pas la moindre peine pour perfectionner la droiture naturelle de son cœur. Vous plantez un arbre ; si après un jour de chaleur, qui le fait pousser, il survient dix jours de gelée, il n’est pas possible qu’il croisse, ou qu’il porte des fruits : mes conseils, mes instructions étaient à l’égard de ce prince, ce qu’un jour de chaleur est à un jeune arbre. A peine avais-je le pied hors du palais, qu’il était environné d’une foule de flatteurs, qui faisaient la même impression sur son esprit, que les dix jours de gelée font sur cet arbre. Aussi dès que je m’aperçus de l'inutilité de mes soins, et du peu de profit que ce prince retirait de mes enseignements, je l’abandonnai à lui-même.

C’est ainsi que la plupart des hommes renversent l’ordre de la nature, et s’aveuglent eux-mêmes, en éteignant les lumières de leur raison, et en se livrant aux plaisirs. C’est ainsi qu’ils négligent la droiture naturelle, qui est néanmoins quelque chose de plus précieux que la vie, puisqu’un homme raisonnable choisira plutôt la mort, que de commettre une action injuste et contraire à la raison.

N’est-il pas étrange, poursuit Mencius, que l’homme étant composé de deux parties, l’une très noble, qui est l’esprit, l’autre très vile, qui est le corps, il donne toute son attention à cette partie de lui-même, qui est si méprisable, tandis qu’il néglige la plus noble, qui devrait l’occuper tout entier, puisque c’est elle qui le distingue des bêtes ? Que penserait-on d’un jardinier, qui laisserait sans culture ces arbres admirables nommés Nga et Kia, qui sont si utiles aux hommes, tandis qu’il donnerait tous ses soins à de vils et inutiles arbustes ?


CHAPITRE SIXIÈME.


Mencius établit ce principe, qu’il y a des usages communs à tous les hommes, qui se doivent observer ; mais que cependant il y a des