Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/619

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ouvertement contre la remontrance, il prit un détour pour augmenter les grands biens de son favori. L’impératrice régnante produisit une ordonnance vraie ou supposée, par laquelle l’impératrice douairière léguait à Tong hien un domaine de deux mille familles. Cette ordonnance fut remise à Ouang kia ministre d’État, pour en procurer l’exécution, Ouang kia aussitôt la cacheta, et la remit à l’empereur ainsi cachetée, avec une seconde remontrance, où il lui dit ce qui suit.


On le dit, et il est vrai, c’est proprement Tien qui est le maître des dignités et des terres. Aussi le Chi king dit-il en parlant des souverains, Tien députe sous ses ordres un homme capable et vertueux. C’est donc la place de Tien que tiennent à cet égard ceux qui règnent. Qu’y a-t-il de plus propre à leur inspirer dans la distribution des grâces et des faveurs, une sérieuse attention et une crainte respectueuse ? Quiconque en effet les distribue mal, en est presque toujours puni par les murmures et par les malédictions des peuples, par le dérangement des saisons, par les maladies, et par d’autres malheurs semblables. On ne peut pas être plus alarmé que je le suis, de voir d’un côté que V. M. est toujours valétudinaire et de l’autre, qu’une bienveillance excessive pour un favori, vous fait prodiguer en sa faveur les plus hauts titres, épuiser vos trésors, craindre, pour ainsi dire, qu’ils ne suffisent pas pour lui ; enfin vous dégrader en quelque façon, et vous abaisser vous-même pour l’élever.

Hiao ouen un de vos ancêtres, eut envie d’élever certaine terrasse. Sur le devis qu’on lui fit de ce qu’elle pourrait coûter, quoique la somme fût modique, et ne passât pas cent kin[1], il y renonça malgré son inclination. Hien votre favori l’entend bien mieux. Il n’est point rare de le voir, tout sujet qu’il est, tirer du Trésor royal jusqu’à mille kin, pour en gratifier quelque famille. C’est ce qui depuis l’antiquité la plus reculée ne s’était point encore vu. Aussi n’entend-on dans tout l’empire que des imprécations contre lui. C’est un proverbe de village, que qui se fait montrer au doigt, ne meurt point de maladie. Je tremble pour Tong hien ; j’apprends néanmoins qu’on produit une ordonnance de la feue impératrice, suivant laquelle on prescrit aux ministres d’État et aux autres, de le mettre encore en possession de ce qui faisait ci-devant le domaine de trois heou. Pour moi, je vous l’avoue, je penche à croire que ces nouveaux tremblements de terre, ces écroulements de montagnes, ces éclipses de soleil, sont des avis qu’on vous donne, de ne pas élever le sujet au-dessus du prince. On voit depuis longtemps Hien comblé de vos bienfaits, les dédaigner insolemment ; après avoir reçu de vous quelques terres, vous en demander l’échange ; après l’avoir obtenu, revenir

  1. Aujourd’hui cent kin font cent onces d’argent. Était-ce alors la même chose ? je n’en sais rien.