Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/632

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une humilité mal entendue, les gens de vertu et de mérite cédassent les honneurs et les emplois à d’autres qui manquaient de capacité et de vertu. Ce qu’ils voulaient, c’était que les gens de mérite se déférant les uns aux autres, et se cédant volontiers mutuellement, il n’y en eût point d’inconnus ni d’oubliés. Nommait-on quelqu’un pour un grand emploi ? Il s’excusait aussitôt, et proposait en sa place ceux qu’il en jugeait les plus capables. Si une si louable coutume pouvait revivre, qu’il serait aisé au prince de faire un juste et judicieux discernement des officiers qui le servent ! L’usage est encore aujourd’hui, que quand un officier est sur le point de s’avancer, il s’excuse au moins par cérémonie sur son peu de capacité. Mais on n’en voit plus, qui propose un autre pour remplir la place qu’on lui destine. Ainsi, à proprement parler, plus de déférence véritable parmi les Grands : et dès lors, dit Confucius, on ne peut attendre du peuple qu’envie, que querelles, et contentions. Hélas ! cet esprit d’envie ne règne que trop parmi les Grands mêmes, au lieu de l’esprit de déférence. De là deux grands maux. Souvent le mérite est dans l’oubli. Souvent quand il a paru, il est en butte à la médisance.

Quand l’esprit de déférence régnait, ceux qui avaient un vrai mérite, jouissaient bientôt de la réputation qui leur était due : car chacun dans l’occasion s’empressait de leur céder. Et comme on ne s’avise pas de céder à un homme qu’on n’estime pas ; si des gens sans vertu et sans capacité entraient dans les charges, il y en avait du moins fort peu, et on ne les voyait guère s’élever plus haut. Aujourd’hui les grands talents et les médiocres, sont tellement confondus, qu’il est très difficile au prince d’en faire, comme autrefois, un juste discernement.

Un roi de Tsi qui aimait fort l’instrument de musique yu, assembla jusqu’à trois cents hommes qu’il en faisait jouer ensemble. Un certain appellé Nan ko qui n’y entendait rien, voyant qu’on faisait jouer trois cents hommes ensemble, jugea qu’avec un peu de hardiesse il pourrait passer dans la foule. En effet, il reçut ses gages comme un autre pendant longtemps. Le roi étant mort, son successeur fit publier qu’il aimait encore plus que son prédécesseur l’instrument yu, mais qu’il voulait entendre jouer l’un après l’autre ces trois cents hommes. À cette nouvelle Nan ko s’enfuit. O que de Nan ko dans les emplois ! depuis qu’on ne voit plus régner la vertu Yang, ni la louable coutume qui en était une suite.

Du moins si le mérite s’étant fait jour au travers de cette foule, et s’étant élevé aux premiers emplois, y pouvait être en sûreté. Mais que n’y a-t-il point à craindre aujourd’hui, que l’envie et l’ambition ont malheureusement succédé à l’esprit de déférence ! En effet, ne point faire du tout de fautes, c’est une chose qui n’est propre que d’une sagesse et d’une vertu du premier ordre. Aussi Confucius louant Yen tse qu’il chérissait le plus de tous ses disciples, borne son éloge à dire que jamais il ne tomba deux fois dans la même faute. Or si cette foule d’aspirants ambitieux, dont la cour fourmille aujourd’hui, se trouve le chemin fermé par un homme d’un mérite supérieur, il est ordinaire qu’il s’en chagrine. Dès lors on est disposé