Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/646

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les sources des plus grands troubles, je me fais à moi-même de tout cela comme un miroir, où je puisse voir mes défauts pour travailler à les corriger. Le caractère le plus essentiel d’un bon gouvernement, c’est de n’élever aux grands emplois que des gens de vertu et de mérite. Un prince qui a cette attention, jouit d’un règne heureux ; et il n’y a rien de plus dangereux et de plus fatal pour un État, que d’en user autrement. Un prince se trouve-t-il dans quelque embarras ? Il ne manque point de consulter ses ministres et ses autres grands officiers. S’ils se trouvent être tous gens éclairés, fidèles, zélés, quelque grand que soit l’embarras, il est rare qu’il aboutisse à tout perdre. Et ce qu’on ne peut trop déplorer, le mal est que souvent les princes peu attentifs à ce choix, s’occupent de vains plaisirs. O qu’ils feraient bien mieux de se faire un plaisir de leur devoir ; mais surtout d’un devoir aussi important qu’est le choix de bons officiers, et surtout de bons ministres !

On dit communément que Chun et Yu, ces deux grands princes, n’aimaient point le plaisir ; et qu’au contraire les deux tyrans Kié et Tcheou l’aimaient beaucoup. Pour moi, je dis tout le contraire. La mauvaise conduite de Kié et de Tcheou leur coûta mille inquiétudes, abrégea le cours de leur vie, troubla par conséquent leurs plaisirs, et les rendit fort courts. Cela s’appelle-t-il aimer le plaisir ? Au contraire n’est-ce pas l’aimer véritablement, que de l’aimer comme Chun et Yu, qui doivent à leur sagesse et à leur vertu une vie longue et tranquille, et qui par là goûtèrent à loisir les plaisirs inséparables d’un règne heureux et paisible ? Il faut avouer que les tempéraments et les naturels sont différents ; qu’il y en a de bons et de mauvais ; et que dans chacune de ces espèces il y a divers degrés. Les vertus et les actions de Yao, de Chun, de Yu, et de Tang, donnent le lieu de croire que Tien les avait bien partagés. Il n’en était pas ainsi de Kié, de Tcheou, de Yeou, de Li : les cruautés et les brutalités de ces méchants princes le prouvent assez. Il est cependant vrai de dire que le bonheur des princes et de leurs États, dépend moins de différence des tempéraments et des naturels, que du soin de tenir en tout le juste milieu, que dicte la raison commune à tous.

Nous lisons dans Ou ki qu’un prince de sang s’occupant uniquement de certains exercices de vertu, et négligeant d’avoir des troupes, perdit ses États ; que le prince d’Y périt aussi, mais par une voie toute opposée, en ne comptant que sur ses forces, et négligeant la vertu. Aussi Confucius dit-il, que dans le gouvernement d’un État, il faut un juste tempérament de bonté et de fermeté, de sévérité et de clémence. En effet la bonté et la justice doivent toujours aller ensemble : donner trop à l’une, au préjudice de l’autre, c’est dès lors une faute, et une faute considérable qui peut avoir de fâcheuses suites. Que serait-ce donc de s’éloigner de l’une et de l’autre ? Et que serait-ce surtout de manquer absolument de la première ? Un empereur