Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/687

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hommes. Il ne faut pas imaginer en l’air un ordre de Tien, qui ne renferme point du tout les actions des hommes, et qui y ait aucun rapport. Non, rien ne serait plus déraisonnable que de négliger ses devoirs, et de rejeter sur l’ordre de Tien, ce qui suit naturellement d’une telle négligence. Le texte de l’Y king dit : Tien lui est propice. Et Confucius commentant ce texte dit : l’expression yeou[1] signifie la même chose que l’expression tsou. Mais qui sont ceux que Tien aide ? Ce sont ceux qui lui sont soumis et dociles. Qui sont ceux que les hommes ont coutume de secourir ? Ce sont ceux en qui ils reconnaissent de la sincérité et de la probité. S’étudier à la soumission à l’égard de Tien, ne manquer jamais de bonne foi à l’égard des hommes, voilà par où l’on obtient du secours. L’Y king, quand il s’agit du rapport de l’homme à Tien et des secours ou des faveurs que celui-ci accorde ou refuse à celui-là, met d’abord une action bonne ou mauvaise, à laquelle répond symboliquement ou quelque bonheur en récompense, ou quelque malheur en punition. D’où il est évident que les ordres de Tien à l’égard des hommes, ne sont pas tels, qu’ils ne dépendent en rien des hommes mêmes. En effet a-t-on jamais vu un État, où régnât la raison et la vertu dans tous les ordres, que Tien en ce temps-là même ait affligé de funestes troubles ? Ou bien a-t-on vu jamais un empire, où régnât partout le désordre, que Tien ait en même temps fait fleurir et jouir d’une paix profonde ? Non, cela ne s’est jamais vu.

Que si votre Majesté doute encore de ce que je viens de dire, voici, sans aller bien loin, de quoi lui faire toucher au doigt cette vérité. Depuis que par des guerres mal entreprises, et par des levées toujours nouvelles, on a épuisé les forces de votre empire, alarmé, et mis en défiance vos sujets ; ce ne sont que soupçons, qu’intrigues, que cabales de tous côtés. On croirait voir une mer que la furie des vents agite. Tout le monde dit hautement dans cette grande capitale, que pour peu que cela dure, il ne peut manquer d’arriver quelque triste événement. Or, dites-moi, je vous prie, tous ceux qui parlent ainsi, savent-ils l’art de deviner, et dans les mystérieux secrets de cet art ont-ils découvert l’ordre de Tien ? Il est évident qu’ils ne parlent que sur la disposition des esprits, et sur l’état présent des affaires. En cela ils ont raison. C’est de là que naissent en effet les troubles et les révoltes, et non de ce qu’on appelle fatales révolutions des temps.

Je n’ignore pas ce qu’on dit qu’une longue et trop grande prospérité amène le trouble ; que du trouble naît le bon ordre ; qu’il y a eu des États, dont la ruine n’avait été précédée d’aucune autre calamité ; que d’autres, malgré bien des dangers et bien des malheurs, sont devenus florissants. Ce qu’il y a de vrai en tout cela, bien loin d’être contraire à ce que j’ai dit, s’y accorde parfaitement. Pourquoi dit-on, par exemple, que la prospérité amène le trouble ? C’est que trop de prospérité, si l’on n’y prend garde, inspire naturellement une confiance excessive, et une indolente sécurité.

  1. L’une et l’autre signifie aider, secourir. Mais tsou est plus vulgaire, yeou plus relevé, et l’on s’en sert pour marquer un secours plus qu’humain.