Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/723

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quoique différentes en différents temps, ou plutôt sous différents règnes. Le prince est-il naturellement chagrin, soupçonneux, fier, cruel, aussi éloigné de vouloir entendre ses propres fautes, qu’ardent à rechercher, et facile à croire celles d’autrui ? Alors les ministres et les Grands sont dans l’alarme et dans la crainte. Dans un temps comme celui-là, c’est une chose bien dangereuse et bien difficile, de donner des avis au prince sur sa conduite ; les plus habiles n’y réussiraient pas. Mais déférer alors un ministre, ou quelque autre grand officier, c’est chose facile et sans danger. Le prince est-il au contraire doux, modéré, obligeant, sévère à soi-même, indulgent à l’égard des autres, aussi prompt à justifier ceux qu’il emploie, qu’à se condamner soi-même ? S’il arrive qu’en même temps, comme il est assez naturel, un ministre ou quelque autre Grand, appuyé des gens du dedans, ait en main l’autorité, soit en possession d’être instruit de tout avant l’empereur, en état de faire sentir à quiconque les effets de sa vengeance ; dans de semblables conjonctures, rien de plus aisé que de donner dans l’occasion des avis au prince sur ses fautes personnelles. Mais, pour attaquer alors le ministre, il faut certes bien du courage : et quand on ose faire, il est rare qu’on y réussisse. C’est une expérience de tous les temps ; et ce point mérite quelque attention.

La même expérience nous apprend que les princes, selon les différentes circonstances, ont plus ou moins de difficulté à bien juger de ce qu’on leur expose ; et que savoir le faire, est un grand art. Deux partis opposés font des représentations au prince, chacun produit ses raisons, et tourne les choses à sa manière. Chacun se donne pour homme zélé, fidèle, et désintéressé. Chacun, à l’entendre, ne vise qu’au bien public. A quoi s’en tiendra le prince ? S’il connaissait à fond ceux qui parlent : s’il savait que tel est un homme droit et fidèle, tel au contraire est une âme basse et habile à se déguiser ; s’il distinguait nettement dans leurs discours, ceci est réellement du bien de l’État, cela est réellement un intérêt personnel qu’on couvre du nom de zèle pour le bien public, dès lors plus de difficulté à prendre parti.

Voici les moyens qu’on donne pour faire autant qu’il est possible, un juste discernement. On vous présente un discours, où l’on parle sans détour en termes clairs et expressifs, quoique peut-être un peu durs : vous trouvez qu’on vous y dit des choses peu conformes à vos inclinations et à vos vues, et par là même désagréables. A la première lecture que vous en faites, vous sentez naître en votre cœur du ressentiment et de la colère. Modérez-vous, et concluez que l’auteur de ce discours est un sujet fidèle et zélé. Il vous vient un second discours, dont les expressions sont douces et coulantes, mais peu précises pour le sens. Vous trouvez qu’on s’y étudie à justifier vos ordres passés, et à donner dans vos vues présentes. Aussitôt naît la complaisance et la joie. Réprimez ces mouvements, et défiez-vous que celui qui parle, ne soit un lâche flatteur, qui sacrifie à ses intérêts le bien de l’État et votre gloire. De même un de vos premiers officiers, vous fait des représentations sur une affaire de son ressort, par des remontrances