Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/724

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réitérées à la face de tout l’empire. Il n’a pas plus tôt écrit ou parlé, que tout le monde est instruit de ce qu’il propose. On en parle, on l’examine ; le public en devient juge. Quel est l’homme qui ne sait qu’il n’est pas possible de tromper tout le monde ? Il est donc à présumer que ses propositions ou ses représentations sont un pur effet de son zèle. Un autre propose ses vues sur une affaire qui n’est point de son ressort. Il se cache pour le faire ; il demande un grand secret ; il n’est point d’instance qu’il ne fasse pour engager le prince à prendre un parti sans communiquer la chose à personne. C’est en apparence par estime pour les lumières extraordinaires et supérieures du souverain. Mais dans le fond, c’est communément qu’il a quelque intérêt caché, et qu’il craint qu’on ne le démasque. L’expérience de tous les temps a autorisé ces règles. Un prince qui sait les suivre, discerne sans grand embarras, et communément assez juste, les différents motifs qui font parler.

Nous avons aujourd’hui dans Votre Majesté un prince tempêtant, appliqué, laborieux, qui ne se pardonne rien, qui aime à être instruit de ses fautes, qui ne s’offense point des avis, lors même qu’on les lui donne sans ménagement et sans détour. Mais à l’égard de ceux qui vous servent, et surtout des officiers que vous employez, vous êtes tout autre. Ce n’est qu’honnêtetés, que bienfaits, qu’indulgence. Vous vous faites véritablement une peine de les changer. Leur réputation vous tient au cœur. Vous les soutenez autant qu’il est possible, et toujours plein pour eux de bienveillance, vous ne pouvez vous persuader qu’ils osent s’en rendre indignes. De sorte que je crois pouvoir dire que nous sommes dans ces temps dont j’ai parlé, où rien n’est plus aisé que de donner dans l’occasion des avis au prince sur ce qui regarde sa personne, mais où il est bien dangereux d’oser toucher à ceux qui l’approchent.

Depuis que je suis à la cour, voici ce que j’ai vu. Une des années nommées King yeou, Fan tchong yen osa parler en qualité de censeur, sur la conduite de Liu y kien, un des ministres : il lui en coûta la perte de son poste, et on l’envoya simple magistrat dans une ville de province. Une des années nommées Hoang yeou, le même Tang kiai dont il s’agit aujourd’hui, parla hautement en qualité de censeur contre Ouen yen po aussi ministre. Il eut le même sort que Fan tchong yen. La même chose arriva quelque temps après à Tchao pien, et à Fan se tao pour avoir soutenu Leang tché contre Leou kang et sa cabale. Han kiang il y a deux ans, pour avoir censuré Fou pi, fut relégué à Tsai tcheou. Enfin tout récemment Tang kiai, Tchao pien, Fan se tao, Liu hoei, et Ouang tao ont été cassés, pour avoir déféré Tchin kieou. De tant de censeurs destitués de leur emploi dans l’espace de vingt ans, je ne sache pas qu’un seul l’ait été, pour avoir offensé personnellement le souverain.

Voilà ce qui me fait dire, que dans le temps où nous sommes, on peut avec succès et sans aucun danger donner des avis au prince sur sa conduite ; mais que pour attaquer celle d’un ministre, il faut un courage à toute épreuve, et que celui qui ose le faire, n’y réussit presque jamais. Si