Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/741

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Leang. Ces deux princes avaient beaucoup d’esprit et de capacité. Ils firent au commencement de grandes choses. Mais comme ils n’avaient pas pour leurs peuples un assez grand fond de tendresse, à la longue ils relâchèrent. N’ayant ni guerre au dehors, ni troubles au dedans, ils vivaient, pour ainsi parler, au jour la journée, sans penser à ce qui pourrait arriver, et surtout bien éloignés de s’imaginer qu’il dût jamais y avoir quelque chose à craindre pour leur personne ; cependant ils échappèrent avec peine à la fureur des rebelles, et ils eurent la douleur de voir les palais de leurs ancêtres insultés et renversés, leurs femmes et leurs enfants dans la plus extrême indigence, les campagnes arrosées du sang d’une infinité de leurs sujets, et la faim faire périr ceux qui par la suite évitaient le glaive. Quelle douleur pour de bons fils de voir ainsi déshonorer leurs illustres pères. Quelle affliction pour un bon père, tel qu’est le prince à l’égard de ses sujets, de trouver les villes et les campagnes jonchées de morts. Ils ne s’étaient jamais imaginé qu’il pût leur arriver rien d’approchant. Ils reconnurent, mais trop tard, que ces malheurs imprévus étaient le fruit de leur indolence.

En effet, l’empire est comme un beau vase également grand et précieux. Pour le maintenir dans une situation droite et ferme, il faut toute la force des plus sages lois. Pour le posséder en sûreté, il faut que la garde en soit commune aux personnes les plus éclairées et les plus fidèles. Mais si le prince n’est animé de l’amour le plus tendre et le plus constant pour ses peuples, à la longue il s’ennuie des soins fatigants qu’exige le maintien des lois, et le choix des officiers. Les mois et les années passent, sans qu’il s’en mette fort en peine ; et quoiqu’il ne pense qu’à vivre doucement, les choses paraissent aller leur train. La tranquillité durera peut-être quelque temps. Mais il est difficile qu’enfin il ne survienne de fâcheux troubles. Vous avez, prince, un esprit très pénétrant, beaucoup de sagesse et d’habileté : vous aimez aussi vos peuples : mais je vous prie de faire attention que vous régnez depuis bien des années, et que pour ne pas vous exposer au sort des trois princes dont j’ai parlé, il faut que votre amour pour vos peuples, vous anime à soutenir avec constance, des soins qui sont nécessaires, pour assurer leur repos, et la gloire de votre règne.

Il s’en faut bien qu’aujourd’hui les grands emplois soient occupés par des hommes vertueux et capables. Il s’en faut bien que les lois soient dans leur vigueur. Ceux qui gouvernent sont les premiers à y donner atteinte par des règlements qui y sont contraires. Parmi vos officiers bien du désordre ; parmi vos peuples bien de la misère. Les mœurs se corrompent tous les jours de plus en plus ; les abus se multiplient ; Votre Majesté cependant jouissant des honneurs et des délices du trône, demeure dans l’inaction, sans se mêler du choix de ses officiers, sans s’informer de ce qui convient, pour maintenir ou rétablir le bon ordre. Pour moi, je vous l’avoue, mon zèle ne me permet pas de voir une pareille négligence sans douleur et sans inquiétude, ni de vous le dissimuler. Régner, ou plutôt vivre de la sorte, c’est ce qui ne peut durer. Les trois princes dont j’ai parlé, l’éprouvèrent. Profitez